Brisons le plafond de verre
08H12 - jeudi 21 avril 2016

Teresa Weintraub : « Un bon chef d’entreprise ne dicte pas mais rassemble »

 
Portrait de Teresa Weintraub - Crédit photo : Stéphanie Petit

Portrait de Teresa Weintraub – Crédit photo : Stéphanie Petit

De passage à Paris, Teresa Weintraub, présidente monde de l’International Women’s Forum a accordé un entretien à Opinion Internationale. Trouver le juste équilibre entre travail, famille et engagement associatif, est un art de haute précision que beaucoup peinent à maîtriser. Teresa Weintraub y excelle.

 

Depuis ses tout débuts de mère jusqu’à la veille d’être grand-mère, dans seulement quelques semaines, elle a réussi à mener ses trois « carrières », trois vies, de front. Et, malgré une liste longue, très longue, d’accomplissements, elle considère ce succès comme le plus important. C’est que l’essentiel, selon elle, réside dans l’humain et non dans le palpable, le mesurable, le monnayable. Ainsi, lorsqu’on l’interroge sur l’héritage qu’elle souhaite transmettre à ses enfants et aux générations futures, elle parle de valeurs morales, de bienveillance envers autrui, et de responsabilité. Elle qui a su se hisser au sommet des organigrammes nous livre sa vision du monde de l’entreprise à travers un regard rempli d’humanité. Tout concorde dans son discours pour qu’émerge l’image d’une femme exceptionnelle de volonté, d’humilité et de générosité.

Entretien avec Teresa Weintraub, nouvelle présidente monde de l’International Women’s Forum, ex-directrice générale de Merrill Lynch, Pierce, Fenner & Smith Inc., le plus grand gestionnaire d’investissements au monde.

 

Quelles sont à votre avis, vous, dont la carrière est une suite impressionnante de postes de directrice, présidente ou  vice-présidente de sociétés, réseaux et organismes caritatifs, les qualités primordiales d’un bon chef d’entreprise ?

Un bon chef d’entreprise ne dicte pas mais rassemble. Il doit être rassurant, ouvert, honnête, et savoir écouter. Il lui faut définir des objectifs auxquels son équipe pourra adhérer, et créer l’environnement le plus propice pour les atteindre. Très important aussi pour un chef d’entreprise est de savoir choisir ses collaborateurs. Or ce n’est pas une science exacte. Personne ne peut prétendre ne s’être jamais trompé. Apprendre à bien s’entourer est une question d’expérience. On est presque obligé d’en passer par quelques mauvaises. Bien sûr, les compétences comptent, mais en dehors de cela, les qualités à rechercher sont l’enthousiasme, l’esprit d’équipe et l’envie de travailler dur. Enfin, lorsque l’on forme une équipe, il faut combiner les profils pour une dynamique optimale. Il y a les faiseurs, les penseurs, les stratèges et les visionnaires. Ensemble, ils réunissent des qualités essentielles. Un groupe hétérogène, soigneusement constitué, pourra se révéler redoutablement efficace si chacun contribue à mesure de ses qualités au travail de l’équipe. Un bon chef d’entreprise se juge à ses résultats mais ce sont ces « détails » qui font la différence.

 

Certains affirment qu’hommes et femmes n’ont pas la même manière de diriger une entreprise, confirmez-vous cette vision ?

Les femmes de ma génération, d’après ce que j’ai observé, ont une manière différente de diriger leurs équipes et présenter les objectifs. Elles avancent pas à pas alors que les hommes tendent à imposer leurs décisions. Ils sont plus volontaires, directs, dans leur approche. Et les femmes plus persévérantes. Quand quelque chose ne fonctionne pas, elles changent de stratégie mais n’abandonnent pas. Je pense que dans ce sens hommes et femmes sont complémentaires. Mais les choses sont en train de changer. La génération qui monte, du moins aux États-Unis, est plus égalitaire dans la répartition des tâches au sein de la famille et dans sa vision globale. Et donc les différences entre hommes et femmes s’atténuent dans le monde du travail aussi. Les femmes d’aujourd’hui sont perçues et se perçoivent autrement, même si parfois encore elles n’osent pas s’affirmer et défendre leurs positions, craignant de se voir reprocher une « certaine agressivité », que l’on aurait nommée « détermination » chez un homme. On a bien avancé mais il est indéniable qu’il reste des progrès à faire. Ainsi a-t-on observé que pour se faire entendre dans des comités directifs les femmes doivent être au moins trois à siéger autour de la table. Il est donc impératif d’œuvrer pour qu’elles soient plus nombreuses dans les instances de direction. À en juger l’évolution, nous ne pouvons qu’être optimistes.

 

Votre chemin professionnel est une success story, pensez-vous qu’il vous a été plus difficile à accomplir du fait que vous êtes une femme ?

Quand j’ai commencé à travailler il n’y avait pas beaucoup de femmes dans mon environnement professionnel. Je me suis efforcée à ne pas trop y penser. J’avais un gros avantage par rapport à beaucoup : j’ai grandi avec trois frères. Avoir vécu au milieu d’hommes m’avait préparée à ce monde. Bien sûr, j’ai entendu des choses… J’ai choisi de les ignorer, de rentrer dans le système et de m’y adapter. Je pense avec le recul que c’était la seule manière de me faire une place dans ce monde. Mais dans l’ensemble, je dois avouer que j’ai eu beaucoup de  chance.

 

Hormis la chance et les avantages dont vous venez de parler, il faut des qualités pour réussir dans ce système et pour s’y adapter, comme vous-même l’avez fait. Quelles sont ces qualités qui vous ont permis d’après vous de vous hisser au sommet malgré les difficultés ?

Premièrement l’organisation, ensuite la résilience, enfin l’humilité. J’ai travaillé très dur et accepté de faire tout ce que l’on me demandait. Dans les limites du raisonnable bien sûr. Une fois, j’étais enceinte et ils m’ont proposé d’aller en Jamaïque en plein ouragan : j’ai dit non [rires]. Mais sinon, Je n’ai jamais refusé de me charger d’un travail au prétexte qu’il serait indigne ou en dessous de mon niveau. L’important est d’être soi-même. Sans donner l’impression de vouloir prouver quoi que ce soit. Et ainsi on n’est pas perçu comme un danger mais un atout.

 

Avocate fiscaliste à New York, vous avez changé de cap, en devenant directrice exécutive à l’université de Miami, pour pouvoir passer plus de temps avec vos trois enfants. Comment justifiez-vous ce choix ?

Parce que, au bout du compte, le travail n’est pas qui je suis. Je n’ai jamais voulu que ma vie professionnelle se mette en travers de ma route et m’empêche de devenir celle que je suis vraiment. Cela n’est pas toujours facile de fixer les limites et de rester soi-même. Beaucoup se laissent définir, et se définissent eux-mêmes, en fonction de leurs accomplissements et de leur position sociale. Pas moi. Or la famille m’est essentielle. Même si je n’aurais jamais pu rester à la maison pour élever mes enfants. J’ai été une bien meilleure mère en allant travailler que je ne l’aurais été si je ne l’avais pas fait.

 

Quels sont vos objectifs en tant que présidente de l’International Women’s Forum ?

Pour IWF, mon objectif est de redéfinir sa spécificité dans le paysage actuel des organisations de femmes, afin de lui garder toute sa pertinence. Quand IWF s’est créé, les femmes n’étaient pas admises dans beaucoup de clubs masculins, et cela n’est qu’un exemple, parmi de nombreux à l’époque, de discrimination. La pertinence d’IWF, dans le contexte d’alors, était le système d’entraide qu’il avait développé. La situation a changé. Ainsi, devons-nous réfléchir et ajuster nos objectifs aux réalités d’aujourd’hui. Et je m’y emploierai pendant les années à venir.

 

Et en tant que femme et chef d’entreprise, quelles sont vos prochaines perspectives ?

Au niveau de ma vie professionnelle, j’ai quitté l’entreprise dans laquelle je travaillais depuis dix-huit ans pour en fonder une nouvelle. Avec mon fils ! J’ai bien l’intention de l’aider à se développer. Enfin, je vais être grand-mère d’ici quelques semaines. Voilà, c’est mon programme pour l’instant.

 

Vous êtes née à Cuba et vous le mentionnez même dans la version la plus courte de votre biographie, en quoi cela est-il si important dans votre vie ?

C’est important car je ne suis pas « seulement » Américaine. Je suis arrivée à sept ans aux États-Unis en tant que réfugiée. Ce vécu m’a rendue plus empathique envers autrui, plus attentive aux besoins et aux souffrances autour de moi. En cela, ma naissance à La Havane m’a marquée. Et là encore, je dois dire que j’ai eu beaucoup de chance, car si mes parents n’avaient pas décidé de quitter Cuba, ma vie n’aurait certainement pas été aussi épanouissante. Mais je me réjouis des récents développements. Le rapprochement entre Cuba et les États-Unis, je le ressens intimement comme une réconciliation de ma double origine.