Edito
06H45 - jeudi 5 juin 2025

Pourquoi il fallait un couvre-feu à Paris ce soir-là. La chronique de Sofiane Dahmani

 
Pourquoi il fallait un couvre-feu à Paris ce soir-là. La chronique de Sofiane DahmaniIl est des jours où la République hésite, vacille, se tâte. Et il en est d’autres où elle doit trancher, décider, assumer. Samedi 31 mai 2025, au soir de la victoire historique du Paris Saint-Germain en finale de Ligue des champions, l’État aurait dû être ferme, clair, déterminé. Il aurait dû décréter un couvre-feu à Paris. Ce n’est pas un jugement à froid, mû par la seule rétrospective des événements tragiques qui ont endeuillé la capitale cette nuit-là. C’est un constat politique, juridique, et moral.
L’émotion ne saurait occulter la responsabilité. Oui, le PSG a écrit l’histoire. Oui, des générations de supporters ont attendu cet instant avec ferveur. Oui, la joie populaire mérite reconnaissance. Mais non, la liesse ne justifie pas l’anomie. Les faits sont têtus, comme disait Lénine. Et les faits, ce soir-là, furent sanglants : deux morts, des dizaines de blessés, plus de 500 interpellations, des commerces pillés, des voitures incendiées, des policiers caillassés. Le cœur de la capitale a vacillé sous la violence, l’insécurité, la panique.
Quand une victoire sportive devient le prétexte à des émeutes, ce n’est plus du sport. Quand la République recule, ce n’est plus de la tolérance, c’est de l’abdication.
L’État savait
Il ne s’agissait pas d’un imprévu. Les autorités savaient. Elles savaient que des groupes violents s’organisaient via les réseaux sociaux. Elles savaient que les Champs-Élysées deviendraient un point de ralliement autant pour les supporters que pour les bandes. Elles savaient que le risque était maximal. Le préfet de police lui-même, Laurent Nuñez, a reconnu la présence de « bandes de pilleurs », qu’il qualifie d’éléments extérieurs au monde du football. Mais dès lors, pourquoi ne pas avoir pris la seule décision de bon sens, la seule mesure de précaution à la hauteur de l’enjeu : l’instauration d’un couvre-feu temporaire et ciblé ?
Ce ne serait pas la première fois. Lors des attentats de novembre 2015, un couvre-feu nocturne avait été instauré dans certaines zones. Durant la crise sanitaire, la population avait accepté sans broncher des restrictions bien plus drastiques au nom de l’intérêt général. Pourquoi ce deux poids deux mesures ?
L’argument du « risque de provocation » ne tient pas.  Certains, y compris dans les cercles gouvernementaux, ont craint que décréter un couvre-feu ce soir-là soit perçu comme une provocation, comme une atteinte à la joie populaire, comme une rupture du contrat social. Mais ce raisonnement est bancal. L’autorité républicaine ne se mesure pas à la popularité d’un club de football. Elle se mesure à sa capacité d’assurer l’ordre et la sécurité.
On ne gouverne pas avec la peur des réactions. On gouverne avec la lucidité des faits. Et les faits indiquaient clairement que les conditions étaient réunies pour qu’une fête se transforme en chaos.
Ce n’est pas être autoritaire, c’est être responsable
Certains parleront d’autoritarisme. D’autres évoqueront un excès de prudence, une atteinte aux libertés. Mais la liberté sans sécurité n’est qu’un leurre. À quoi sert la liberté d’aller et venir si l’on ne peut circuler sans crainte ? À quoi sert le droit de manifester sa joie si d’autres le détournent pour semer la terreur ?
Le rôle de l’État n’est pas de plaire. Il est de protéger. Dans un pays qui a trop souvent confondu permissivité et tolérance, il devient urgent de rétablir la notion de responsabilité publique.
Un précédent inquiétant
Ne pas avoir décrété le couvre-feu samedi soir, c’est avoir laissé les images de la victoire se confondre avec celles de la délinquance. C’est avoir donné aux bandes violentes un terrain d’expression inespéré. C’est, quelque part, leur avoir concédé une forme de légitimité médiatique. Et demain ? Qu’adviendra-t-il si la France remporte un match crucial à l’Euro 2028, ou si les JO de Paris déclenchent des scènes similaires ?
La victoire du PSG aurait dû être un moment d’unité, de fierté, d’harmonie. Elle est devenue une fracture. Ce n’est pas aux supporters d’en porter la responsabilité. C’est à ceux qui gouvernent.
Ce qui est en jeu ici n’est pas seulement la gestion d’un événement sportif. C’est l’autorité de l’État. C’est la capacité de la République à fixer des lignes rouges. C’est, en un mot, l’idée même de civilisation.
Face à la violence, il ne faut ni complaisance ni laxisme. Il faut de la clarté. De la rigueur. Et parfois, oui, du courage. Le courage de dire non. Le courage d’imposer un couvre-feu, même au risque de l’impopularité, pour sauver ce qui peut l’être encore : l’ordre public, la dignité civique, la République.

Sofiane Dahmani, chroniqueur