
Il est des moments, dans la vie politique française, où les choix ne sont plus dictés par l’idéologie, ni même par le calcul électoral, mais par la nécessité. Le plan de rigueur annoncé par François Bayrou appartient à cette catégorie. Au cœur d’un printemps en demi-teinte, marqué par une croissance molle, une inflation persistante et une défiance rampante à l’égard de la parole publique, le Haut-Commissaire au Plan devenu Premier ministre s’apprête à engager le pays sur un chemin escarpé, mais probablement inévitable.
Ce n’est pas la première fois que la France tente de reprendre le contrôle de ses finances publiques. Ce fut le cas sous Raymond Barre, sous Pierre Bérégovoy, sous Lionel Jospin ou encore sous François Fillon. La nouveauté tient davantage au contexte qu’à la méthode. Car jamais depuis les années 1970 le déficit budgétaire n’a été aussi structurel, aussi profond, aussi installé dans la routine des politiques publiques. La dette frôle les 3 200 milliards d’euros, le déficit public dépassera 5 % du PIB cette année, et la Commission européenne, naguère si indulgente, commence à durcir le ton. Le temps des promesses sans lendemain semble révolu.
Bayrou, qui a souvent été la mauvaise conscience du pouvoir, entend désormais être sa bonne gestion. L’homme du Béarn, plus pédagogue que tribun, avance avec une gravité assumée. À 73 ans, il sait que son crédit politique est limité, mais son autorité morale reste réelle. Il n’a pas d’échéance électorale personnelle, pas d’ambition présidentielle à nourrir. Il peut donc proposer ce que les autres hésitent à nommer : un effort partagé.
Une « TVA sociale » au cœur du dispositif
C’est le point le plus emblématique — et le plus controversé — de son projet : une hausse modérée de la TVA (de 20 à 21 %) pour alléger le poids des cotisations sociales sur le travail. Une proposition déjà évoquée, timidement testée sous Nicolas Sarkozy, mais jamais pleinement assumée. Bayrou, lui, la revendique au nom de la compétitivité des entreprises et de la relocalisation industrielle. Il parle d’« équilibre des charges », pas de punition fiscale. Il veut rendre plus attractif le travail en France, tout en assurant la pérennité du financement social.
Ses détracteurs, à gauche comme à l’extrême droite, y voient une injustice fiscale. Manuel Bompard y dénonce une « ponction sur les classes populaires ». Marine Le Pen évoque une « trahison sociale ». Mais leurs critiques, mécaniques, masquent une impuissance programmée : eux aussi savent que le mur de la dette est réel, que la dépense publique atteint ses limites, que l’heure n’est plus aux largesses.
Un plan chiffré, mais pas encore détaillé
Le Premier ministre a évoqué un objectif d’économie de 40 milliards d’euros sur trois à quatre ans. Il a promis une méthode, une concertation, et surtout un « refus du dogmatisme ». Mais à ce stade, les détails sont encore à venir. Les grands ministères — Santé, Éducation, Défense — seront-ils préservés ou mis à contribution ? Quid des collectivités locales, déjà exsangues ? Et les niches fiscales, éternel tabou, seront-elles remises à plat ?
Le gouvernement avance prudemment, conscient que chaque coupe budgétaire provoque son lot de protestations, de tribunes, de manifestations. Il s’agit moins de « sabrer » que de trier, d’arbitrer, de prioriser. Et cela exige non seulement de la rigueur comptable, mais aussi du courage politique. C’est ici que Bayrou joue sa partition la plus difficile.
Une leçon aux extrêmes
On aurait tort de sous-estimer la portée politique de ce plan. Car en choisissant la rigueur, Bayrou tend un miroir aux extrêmes. Le Rassemblement national, qui promet toujours plus tout en refusant d’augmenter les impôts, se retrouve confronté à l’inconsistance de son programme. La France insoumise, qui rêve de relancer la dépense publique à coups de milliards, se heurte aux contraintes européennes et à la réalité monétaire.
Bayrou, à sa manière, rappelle que gouverner, c’est choisir. C’est arbitrer entre le souhaitable et le possible. C’est refuser la facilité des discours pour assumer la difficulté des réformes. Ce n’est pas un programme de campagne, c’est un devoir de gouvernement.
La France, pays d’éternel retard ?
Reste une question, lancinante : ce plan de rigueur arrive-t-il trop tard ? La réponse est à la fois oui et non. Oui, car le niveau de dette aurait exigé des mesures dès 2015 ou 2017. Non, car il n’est jamais trop tard pour corriger une trajectoire périlleuse. Ce qui compte désormais, c’est la cohérence, la méthode, et surtout la constance. Le passé budgétaire français est jonché de promesses de redressement avortées. La crédibilité de ce plan dépendra de son exécution, pas de son annonce.
Dans cette période d’incertitude géopolitique, de transition énergétique, et de défiance démocratique, la France ne peut plus se payer le luxe de l’improvisation. Elle a besoin de constance, de sérieux, de pédagogie. C’est, au fond, ce que Bayrou incarne : la volonté d’une République adulte.
Ce n’est pas spectaculaire. Ce n’est pas populaire. Mais c’est peut-être, enfin, raisonnable.