Edito
12H10 - lundi 26 mai 2025

Le pari indochinois de Macron : une diplomatie entre héritage et enjeux contemporains. La chronique de Sofiane Dahmani

 

Il est des voyages présidentiels qui dépassent la simple visite protocolaire, pour devenir autant d’actes symboliques et stratégiques dans la posture internationale d’un chef d’État. C’est précisément ce que représente la tournée asiatique qu’Emmanuel Macron entame au Vietnam, à Hanoï. En apparence, ce déplacement s’inscrit dans la tradition diplomatique française, mêlant hommage au passé et quête d’avenir. Mais en réalité, il s’agit d’un geste lourd de signification, à la croisée d’une histoire complexe et d’une géopolitique en pleine recomposition.

Le Vietnam, pays au passé marqué par la colonisation française puis par une guerre longue et douloureuse, est aujourd’hui une puissance émergente de l’Asie du Sud-Est. En choisissant ce pays comme point de départ, Macron marque d’emblée son désir de conjuguer mémoire et modernité, tout en affichant une volonté de peser dans une région stratégique. Car l’Asie du Sud-Est est devenue un carrefour incontournable des rivalités entre grandes puissances, où s’affrontent dans une délicate chorégraphie diplomatique la Chine, les États-Unis, l’Union européenne, mais aussi des acteurs régionaux comme l’Inde, le Japon ou l’Australie.

À Hanoï, Emmanuel Macron ne fait pas qu’honorer la mémoire des liens franco-vietnamiens. Il entame une négociation pour renforcer les échanges économiques, scientifiques et culturels, un partenariat qui s’inscrit dans la stratégie française de diversification de ses alliances, alors que l’Europe cherche à se libérer de sa dépendance excessive à la Chine, notamment dans les secteurs technologiques et industriels. Le Vietnam, avec sa croissance rapide (environ 6-7% de PIB annuel ces dernières années), son dynamisme démographique (une population jeune de plus de 100 millions d’habitants) et son positionnement géographique sur la route maritime stratégique du détroit de Malacca, apparaît comme un partenaire clé dans cette nouvelle donne.

Sur le plan commercial, la France et le Vietnam discutent notamment d’accords dans les secteurs de la haute technologie, de l’agroalimentaire et des énergies renouvelables. Paris souhaite soutenir les PME françaises pour s’implanter durablement sur ce marché dynamique, tout en partageant son expertise en formation professionnelle et en urbanisme durable, domaines où le Vietnam connaît une urbanisation accélérée.

Mais ce déplacement soulève aussi des questions sur la place de la France dans le monde d’aujourd’hui. Macron, conscient des limites de la puissance française, tente de repositionner son pays non plus comme un acteur dominant mais comme un « pont » entre l’Orient et l’Occident, un facilitateur dans un ordre international en mutation. Cette posture, si elle traduit un pragmatisme certain, est aussi symptomatique d’une France qui doit composer avec un rôle désormais intermédiaire, ni impérial ni totalement marginal.

Sur le plan intérieur, ce voyage prend une coloration particulière. Alors que le président affronte les vents contraires d’une opinion publique parfois lassée par les réformes et les tensions sociales, il cherche à réinvestir l’espace international, terrain où son charisme reste plus intact. Cette tournée asiatique devient ainsi un moyen d’échapper aux turbulences du quotidien, de se projeter dans une narration plus ambitieuse, celle d’un président « européen et global », capable de penser la France au-delà de ses frontières immédiates.

En cela, Macron rappelle le mot de Charles de Gaulle, qui, dans son fameux discours de Phnom Penh en 1966, affirmait que « la France doit garder des responsabilités dans le monde, car elle est une grande nation ». Il poursuit cet héritage, tout en l’adaptant à un monde profondément différent. Là où de Gaulle incarnait la grandeur par la puissance nucléaire et l’indépendance, Macron mise aujourd’hui sur la diplomatie économique et culturelle, sur la formation et l’innovation.

Il n’en reste pas moins que les défis sont nombreux. Dans un contexte mondial marqué par la montée des nationalismes, les tensions commerciales, et une guerre d’influence sourde entre grandes puissances, la diplomatie française doit faire preuve d’une rare finesse. Elle doit allier la fidélité à ses valeurs – démocratie, droits de l’homme, multilatéralisme – à une realpolitik qui ne laisse rien au hasard. Or, sur ce point, les équilibres sont fragiles. Le Vietnam, bien que partenaire stratégique, reste un régime autoritaire que Paris ne peut ignorer sous prétexte d’intérêts économiques. Ce dilemme entre valeurs et intérêts est un éternel défi de la diplomatie française.

Enfin, le déplacement de Macron illustre aussi la nécessité pour la France de se réinventer dans un monde multipolaire. À l’heure où les grandes puissances redessinent les lignes de fracture, où les alliances se reforment à marche forcée, Paris doit cultiver sa singularité : celle d’une puissance moyenne à l’histoire immense, dotée d’une diplomatie agile, capable de nouer des ponts et d’influencer sans dominer.

En ce sens, ce voyage n’est pas qu’un simple agenda diplomatique. Il est un marqueur du macronisme à l’épreuve des réalités géopolitiques contemporaines : une volonté d’affirmation sur la scène internationale, une tentative de sortir de l’enfermement national, et la preuve qu’en dépit des doutes et des critiques, la France entend garder une voix, singulière et influente, dans le grand concert des nations.

À Hanoï, comme ailleurs dans ce périple asiatique, s’écrit donc une nouvelle page d’une diplomatie en quête de souffle et d’équilibre. Celle d’un pays qui refuse de disparaître dans un monde où tout semble en perpétuelle recomposition.

 

Sofiane Dahmani, Journaliste