Il y a chez Emmanuel Macron un goût immodéré pour la dramaturgie politique. Non pas le fracas parlementaire, ni la conquête populaire, mais la mise en scène d’un pouvoir sûr de lui, entouré d’apparat et tourné vers le monde. Le Sommet Choose France, tenu ce lundi 19 mai dans le décor soigneusement choisi du Château de Versailles, en est une nouvelle illustration. Et peut-être même un cas d’école.
Depuis 2018, ce rendez-vous annuel réunit grands patrons étrangers, ministres, hauts fonctionnaires et conseillers du Prince pour vanter l’attractivité économique de la France. Une vitrine à usage externe, mais aussi un miroir destiné à la consommation interne : regardez comme la France plaît, comme elle séduit, comme elle s’impose.
Cette année, le thème retenu – « La France, terre de créativité » – tombait à point nommé. À quelques semaines des Jeux Olympiques, avec Notre-Dame qui rouvre ses portes et une croissance plus résistante que prévu, l’heure était à l’optimisme maîtrisé. On aurait presque entendu en fond le vieux slogan gaullien : la France est de retour.
Mais derrière la féérie versaillaise, il faut, comme toujours, gratter un peu. Et poser les bonnes questions : que signifie exactement cette « attractivité » tant vantée ? À qui profite-t-elle ? Et que dit-elle de la stratégie économique du président à l’orée de son second quinquennat ?
Une stratégie d’image, avant tout
Il faut reconnaître à Emmanuel Macron un art consommé de la diplomatie économique. Le baromètre EY, publié quelques jours avant le sommet, confirmait d’ailleurs la tendance : la France reste, pour la sixième année consécutive, la première destination des investissements étrangers en Europe. Le signal envoyé est clair : notre pays reste compétitif, malgré les crises, les gilets jaunes, les retraites, la guerre en Ukraine ou l’inflation persistante.
Mais l’attractivité, pour être durable, doit reposer sur des fondements solides. Or, dans les faits, les investissements étrangers se concentrent sur quelques secteurs bien connus : le luxe, la tech, l’immobilier, la santé. Ce sont des niches, non des filières nationales. Le reste de l’économie – PME industrielles, agriculture, services publics – observe de loin cette diplomatie économique, souvent avec scepticisme.
Ce décalage est connu, mais rarement reconnu. On le camoufle sous des chiffres, des classements, des sourires présidentiels. Pourtant, la désindustrialisation française n’a pas disparu ; elle s’est seulement masquée derrière des vitrines étincelantes. Et l’investissement étranger, aussi bénéfique soit-il à court terme, ne constitue pas une politique industrielle.
Une mise en scène monarchique
Le choix de Versailles n’est jamais neutre. Il est, au fond, typiquement macronien. C’est-à-dire simultanément républicain et monarchique, solennel et spectaculaire. Là où ses prédécesseurs auraient opté pour un ministère ou un salon économique, Emmanuel Macron préfère les ors de la monarchie d’Ancien Régime. Certains y verront une volonté de prestige ; d’autres, une forme de verticalité assumée, où le pouvoir central guide le destin national à coups de signatures de contrats et de poignées de main avec les dirigeants du CAC40 ou du Nasdaq.
Ce goût pour la représentation a ses avantages : il donne à la France une image d’ordre, de stabilité, de centralité. Mais il a aussi ses effets pervers. Il donne parfois le sentiment d’un président coupé des réalités profondes du pays. Tandis qu’on signe à Versailles des investissements venus du Golfe ou des États-Unis, la ruralité française continue de se vider, l’hôpital public de souffrir, les classes moyennes de douter.
Un pari risqué sur le long terme
Il serait injuste de nier les résultats de cette stratégie. De nombreux projets d’implantation industrielle ou technologique ont vu le jour grâce à Choose France. Des emplois ont été créés, des filières renforcées. Mais cela suffit-il à structurer un modèle économique cohérent ? On peut en douter.
Car l’attractivité n’est pas un but en soi. C’est un moyen. Elle doit s’inscrire dans un projet plus large : celui d’une économie plus souveraine, plus équitable, plus durable. Or, on peine à discerner, derrière les effets d’annonce, la colonne vertébrale d’une telle ambition. La réindustrialisation reste partielle, les territoires délaissés se multiplient, et la dépendance aux multinationales persiste.
En somme, le président joue un jeu dangereux : celui d’un volontarisme éclatant, mais parfois creux. Il parie que la confiance des investisseurs suffira à irriguer la société française. Mais la société française, elle, attend autre chose : de la reconnaissance, de la redistribution, du sens. Non des promesses en anglais, mais du concret en français.
Une leçon de méthode, non de vision
Emmanuel Macron excelle dans l’art de la méthode. Il organise, négocie, séduit. Mais il peine à incarner une vision qui rassemble au-delà des élites. Choose France est un événement efficace, mais élitiste. Brillant, mais lointain. Un peu comme le Château qui l’abrite.
L’avenir dira si cette stratégie produira ses fruits. Peut-être que la France, grâce à ces choix, deviendra un hub européen de l’innovation et de l’investissement. Peut-être. Mais pour cela, il faudra aussi réconcilier l’économie et le peuple, l’ouverture et la cohésion, la mondialisation et la nation. Autrement dit, passer de la scène de Versailles à la scène de la vie réelle.