La chronique de Jean-Philippe de Garate
18H45 - lundi 17 janvier 2022

L’heure de l’abattement… et du choix !

 

L’intelligence dirigerait nos pas. « Dirigerait »… Rarement l’emploi du conditionnel aura été si utile. Nécessaire ! Car la situation sanitaire et morale de ce pays, même dans certaines zones géographiques favorisées, comme l’Ouest parisien, se dégrade à la vitesse grand V.

En dépit d’une pandémie dont personne ne peut ignorer l’existence depuis deux ans, une sensation de flottement, plus encore d’improvisation, se dégage du fatras de textes administratifs et d’interdits en tous genres dont on nous accable, dont on nous assomme. Les derniers en date — l’interdiction de vendre des aliments et boissons dans les trains, même sur les longs parcours, mais pas celle d’en consommer, par exemple — nous renvoient au sapeur Camembert et au lourd bêtisier de l’époque.

L’imprévoyance des instances sanitaires et politiques, le stress ostensible que leurs discours incessants dégagent, ont, le temps passant, entraîné la désorganisation du « terrain » et des combattants de première ligne.

Par la fatigue accumulée, par lassitude, les soignants ne font plus guère attention à différents vecteurs de contamination et passent en nombre dans le camp des patients… Ceux-ci arrivent aux urgences dans un état d’anxiété, avec pour une majorité d’entre eux, un lourd sentiment d’abandon de leurs médecins de ville. Mais ces derniers-nés sont pour autant pas coupables ! Aspirant, après des semaines de travail de soixante-dix, quatre-vingts heures, à un repos bien mérité et nécessaire, ayant jonglé avec leurs agendas pour passer eux-mêmes des fêtes de fin d’année avec leurs proches, accessoirement « se refaire une santé », ils se retrouvent pour une quasi-unanimité dans une impasse. Cette impasse est simple : ils manquent de moyens efficaces pour lutter contre la Covid. 

Tout le monde le sait, sauf les sommets de l’administration sanitaire et politique, plus aveugles que cyniques : le nombre de soignants et leur rémunération, qu’on sait insuffisants, la sensation de saturation flirtant avec le burn-out, tout cela ajoute à la difficulté des prises en charge.

 

Autres phénomènes constatables : beaucoup de non-vaccinés arrivent aux urgences avec différentes pathologies cumulées, alors que dans le même temps, les patients vaccinés présentent des symptômes viraux simples, mais d’autres pathologies imbriquées.

En un mot, la situation n’est plus celle du printemps 2020 et présente désormais une complexité qui n’existait pas alors. Pour prendre une image éclairante, on n’en est plus aux blessures gravissimes, mais simples d’une infanterie ou d’une cavalerie ayant chargé, mais des blessés de différents fronts ne présentant plus le même profil, avec encore une fois, un tableau clinique compliqué, et une morbidité qui ne fléchit pas, c’est un euphémisme. Cette complexification entraîne la nécessité d’interventions multiples, mobilisant pour ainsi dire TOUS les services.

Dans cet environnement qu’on peut sans exagération qualifier « de grand bazar », les soins sont rendus difficiles. Quant aux attentions empathiques, sans évoquer même les « gestes barrières », ils sont désormais — il faut qu’on le sache ! — presque impossibles en milieu hospitalier.

Ainsi, certains examens cliniques effectués aux urgences nécessitent assez souvent des approches humaines invasives. Parmi dix exemples, le plus marquant demeure celui des « circuits patients », clairement inadaptés en infectiologie. En un mot, nos structures d’urgences ne sont pas à l’échelle de l’adversaire. Pire ! elles s’avèrent dangereuses dans leurs aménagements, et ne sécurisent ni les soignants ni, par voie de conséquence, les soignés.

 

On peut le déplorer. Mais plaider ceci cela, chercher des excuses, non !

Nous avions le temps depuis 2020, en tout cas en 2021, de nous préparer, ne serait-ce qu’en repensant et travailler à la modification des lieux, à leur agencement.

L’intelligence dirigerait nos pas. Ah bon ?

Une tente, sur une pelouse ou le macadam, à l’extérieur des bâtiments hospitaliers, avec une entrée, et une sortie distincte, constituerait un choix judicieux et moins onéreux, comme en médecine de catastrophes. Il n’y a rien de dégradant à soigner et à être soigné sous une toile plutôt qu’un plafond. Ne sommes-nous pas en guerre ? Il nous semblait avoir entendu ce mot, pourtant…

Une salle d’attente aérée, pouvant se trouver également à l’extérieur, serait adaptée, pour peu qu’on veille à la température qui y règne. Que les patients n’attrapent pas un rhume…

Des surblouses et du matériel, intelligemment distribués, se trouveraient là où ils sont utiles. Pour le déterminer, c’est simple ! « Faire les choses » selon l’expérience, selon le parcours vécu, et non selon les critères administratifs ! Se placer en situation.

Alors que l’abattement s’empare d’équipes confrontées au bazar et l’afflux incessant de patients, il est temps d’abandonner la calamiteuse gestion de ressources sur le mode administratif au profit de la médecine de guerre vécue. Médecin et infirmière expérimentés prendraient en charge la mise en place de ces mesures. Pitié ! plus l’administration !

Ces binômes pourraient œuvrer à l’avant, en toute première ligne, et accéder à une simplicité retrouvée, et donc, à une grande efficacité. 

Notre dispositif actuel présente plus d’une faiblesse en souplesse, et pour dire crûment les choses, en intelligence — intelligence : capacité d’adaptation, pour le dictionnaire — relativement à ces questions de gestion, ces questions urgentes, ces questions de pratique. Cela se voit à l’œil nu ! Il y a une faille sur ces mises en place

Les grands esprits qualifieront ces questions de « détails ». Pour le coup, l’expression peut être prise au premier degré : l’enfer est dans les détails. Et ces mises en place sont indispensables. Stratégiques. Vitales.

Ou bien, continuons comme nous le faisons et ne donnons pas cher du résultat…

Tôt ou tard, et plus tôt que tard, les soignants touchés, exténués, malades eux-mêmes, de surcroît démoralisés par les discours contradictoires et anxiogènes ne POURRONT PLUS soigner les patients. Une « dérogation de leur éviction » constituera un effet théâtral, avec pour conséquence des arrêts d’activité de telle ou telle structure hospitalière que personne ne pourra suppléer.

Chacun peut constater un phénomène nouveau, lié à l’exténuation, à l’abattement, au fatalisme : une désinvolture face au virus et sa nouvelle vague, ce variant pourtant très contagieux Omicron. Sans conteste, nous sommes tous confrontés à une nouvelle période : celle de la contamination de masse et une variante virale menant à l’immunité collective.

Avec quel risque ?

Nous le disons sans aucun contentement de l’annoncer, mais avec une profonde tristesse : nous allons le savoir très bientôt. Que personne désormais ne se dédouane ! Nous avons clairement deux chemins. Continuer l’habituel train-train ou nous préparer, nous organiser, avec clarté et discipline, en un mot faire montre d’un minimum d’intelligence pratique face à ce qu’il faut nommer : la pandémie nouvelle.

 

Docteur Ali Afdjei, médecin urgentiste, Parly II

Jean-Philippe de Garate