Politique
11H54 - mardi 14 décembre 2021

Dis, Monsieur, ça sert à quoi un député ?

 

2017, une classe de CE2, sagement assise, manifestant l’intérêt bienveillant et si désarmant des enfants de cet âge, observe le député débutant que j’étais alors, venu expliquer en quoi consiste sa mission. Un enfant plus audacieux que les autres m’interpelle : « Dis, Monsieur, ça sert à quoi un député ? ». Sa question arrive à point nommé, car, en ce début de mandat, je suis frappé par la conception, très éloignée de la réalité parlementaire, qu’ont les électeurs de la mission du député, chaque fois que j’échange avec eux.

Quatre ans et demi plus tard, après un épisode encore inachevé de consignes sanitaires qui compliquent la vie publique, je me rends compte qu’il reste encore beaucoup à faire et de pédagogie à mettre en œuvre pour éclairer mes concitoyens, puisque même les candidats aux législatives qui « sortent du bois » ces derniers jours semblent ignorer en quoi consiste la mission d’un député. Il me semble donc salutaire de « remettre l’église au milieu du village », le député à sa place.

Non, un député n’est pas un super-maire ou une super-assistante sociale, qui peut vous faire remonter en haut d’une liste d’attente pour obtenir un logement social, vous recommander pour un travail, vous faire obtenir un permis de construire qui vous a été très officiellement refusé, ou faire installer un stop au bout de votre rue. Ce n’est pas son périmètre d’intervention.

Non, depuis la fin de la réserve parlementaire, votée en 2015 et appliquée en 2017, un député ne peut plus puiser dans une « bourse » lui permettant, comme le faisaient les rois et les seigneurs d’antan, de faire bénéficier ici ou là de ses largesses. Et l’on ne peut que se réjouir de la disparition d’une possibilité qui faisait le nid du clientélisme.

Non, ce n’est parce qu’un député n’est pas de toutes les manifestations officielles censées réunir les notables du cru qu’il ne travaille pas et n’a pas de remontées de terrain. Ce n’est pas non plus parce qu’il ne hante pas les marchés qu’il ne vient pas à la rencontre de ses concitoyens. En 2021, il y a bien d’autres moyens, souvent beaucoup plus ciblés et efficaces, de s’informer de ce qui se passe sur un territoire. Le dialogue n’a pas besoin de se faire aux yeux de tous pour exister. Tant s’en faut. Et en cette période de restrictions sanitaires, on ne peut que s’en féliciter, sinon comment aurions-nous pu travailler depuis deux ans ?

Non, ce n’est pas parce qu’il ne vous gratifie pas régulièrement, dans votre boîte à lettres ou votre boîte mail, de sa newsletter à la charte graphique attrayante (très important le visuel !), concoctée à partir des éléments de langage, les fameux EDL fournis par son parti ou par les communicants officiels, que votre député ne travaille pas. J’ai choisi d’autres moyens, notamment en publiant des tribunes sur des sujets de fond de notre vie politique ou en me manifestant sur des réseaux sociaux ciblés. C’est moins « sexy », certes, pour reprendre un terme cher aux communicants, mais à bien y réfléchir, que doit-on privilégier du fond ou de la forme ? Aux électeurs que la politique passionne, il suffit aussi d’aller faire un tour sur le site de l’Assemblée nationale. Ils sauront alors, de façon très précise, ce que fait leur député, ce que je fais.

Dans un monde où l’important tient plus dans le fait d’être vu que de faire, la communication prend dangereusement le pas sur la politique que je prends là dans son sens le plus noble, car, « faire de la politique », c’est travailler pour l’intérêt général, ce n’est pas paraître. Je connais un élu qui, dès qu’il est en sortie officielle, se fait suivre par un caméraman retraité qui arbore une caméra, bardée d’autocollants de son ancien employeur, en espérant ainsi faire croire qu’il a une telle importance en politique qu’une télévision le suit au quotidien. Mieux vaut en rire.

Ce n’est pas non plus parce que, devant votre écran de télévision, vous ne voyez pas votre député en hémicycle ou en commission, qu’il ne fait pas le job. C’est simplement qu’il n’a pas le don d’ubiquité et qu’il hiérarchise ses tâches en fonction des sujets sur lesquels il travaille. Il est temps d’expliquer à ceux qui deviennent hystériques parce que, tel jour, à telle heure, leur député était absent, que le résultat aurait été le même si l’hémicycle avait été comble : c’est un problème de pourcentages et les « whips » et autres meneurs veillent au grain. Les surprises sont rares.

Alors à quoi sert un député ? En quoi, peut-il aider le citoyen lambda et améliorer son quotidien ? La connaissance de sa circonscription lui est utile en ce qu’elle vient s’ajouter à celles des 576 autres occupants du Palais Bourbon, le but ultime, et extrêmement exigeant, il faut bien le reconnaître, étant de légiférer dans l’intérêt général de la Nation. Le poncif qui consiste à dire « je suis d’ici, je vis ici, je connais tout ici donc je serai un bon député », ne résiste pas à l’examen. Serait-il venu à l’idée de quiconque de remettre en question Clémenceau, né vendéen, attaché à son terroir d’origine, mais élu député du Var ? Nous sommes des députés de la Nation. C’est la constitution qui le dit, l’attachement étroit à un territoire et à ses élus locaux revient aux sénateurs. A chacun son rôle.

Prenons l’exemple des difficultés d’accès aux soins des Vendéens, de la désertification médicale de notre département, c’est seulement si un certain nombre de députés monte au créneau sur ce même sujet, — quitte à se faire taper sur les doigts quand on appartient comme moi à la majorité —, qu’il sera possible d’être écouté au sommet de l’État. Le député prend le relais, là où l’élu local atteint ses limites. Pour le reste, la mission de député demande une connaissance approfondie des sujets législatifs, un travail de fond, solitaire, souvent ingrat, obligatoirement sélectif, qui ne se fait ni devant les caméras ni au café du commerce.

Il est de bonne guerre, pour nombre de candidats à la députation de clamer haut et fort pendant leur campagne qu’ils seront des députés de terrain, de champions de la proximité. Méconnaissance des missions effectives incombant au député ? Ou mauvaise foi surfant sur la vague compassionnelle, si porteuse dans une période difficile pour nos concitoyens ?

La « calinothérapie » n’est pas en soi un projet politique de long terme. Ces aspirants députés feraient bien de se renseigner sur le cahier des charges qui sera le leur, s’ils sont élus : le député légifère, contrôle la politique du gouvernement et l’application qui en est faite par l’administration. S’il veut être légitime dans ce mandat qui lui est donné par l’électeur, cela constitue l’essentiel de son action, et il faut bien reconnaître qu’il y a largement de quoi s’occuper, dans un monde où les évolutions rapides appellent à légiférer toujours plus.

Le député est d’autant moins un élu local que la limitation du cumul des mandats a changé la donne. Or, les professions de foi de candidats de Vendée que j’ai pu lire jusqu’à maintenant ne sont pas celles de futurs députés, mais de candidats à des fonctions locales. Vouloir prétendre le contraire, c’est mentir à l’électeur ou au mieux se fourvoyer sur la nature du mandat que l’on convoite.

Cela ne veut pas dire qu’un député ne sert pas sa circonscription. Il intervient autrement. Il est un intermédiaire entre l’administration centrale et les cabinets ministériels. Et, plus il a de visibilité à Paris, plus il a d’opportunités de faire remonter des dossiers. Il sait comment trouver le bon interlocuteur et agir rapidement. Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, par exemple, la rapidité d’intervention est un facteur essentiel de résolution des problèmes. Faire le lien, être réactif, être un médiateur entre les différentes parties prenantes, c’est un aspect essentiel du rôle d’un député, mal connu du grand public.

Enfin, si un député souhaite peser plus que 1/577 e, il doit privilégier un domaine de compétence et tenter d’en faire un domaine d’excellence. Féru de numérique et de nouvelles technologies, j’ai été l’initiateur et le rapporteur d’une mission sur la souveraineté numérique. Plus de 80 auditions et 216 pages de rapport hors annexes plus tard, je poursuis ce travail qui porte sur un sujet qui touche au plus près, et souvent à leur insu, tous nos concitoyens, jeunes ou vieux, et tous les secteurs d’activité, qu’ils soient publics ou privés. Les préconisations de ce rapport salué par les parties prenantes doivent être portées si je veux les voir aboutir. En 2021, qui pourrait prétendre ne pas être concerné, en Vendée comme ailleurs ? Par un enjeu national qui touche chacun d’entre nous ? Je contribue ainsi à l’intérêt général. Voilà à quoi ça sert un député !

Philippe Latombe

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