Outre-Mer
03H00 - lundi 20 septembre 2021

Covid : déjà 1000 morts aux Antilles. Et Teddy Riner refusa d’appeler à se faire vacciner… L’édito de Michel Taube

 

Le suspense était total et la déception à la hauteur de l’attente. Depuis le 31 juillet et la fin des épreuves de judo aux Jeux olympiques de Tokyo, toutes les Antilles et les amis des outre-mer à Paris et dans tout le pays espéraient que la star des Antilles, Teddy Riner, prenne position. L’enfant du pays, le sportif antillais le plus connu au monde, un modèle pour toute la jeunesse, appellerait-il les Antillais à se faire vacciner, seul rempart contre les formes graves, l’hospitalisation en réanimation et la mort ou le Covid long de milliers de ses concitoyens ?

Le verdict est tombé. En deux temps. D’abord un tweet plein de promesses le 27 août [notre photo] du multi-champion olympique pris en photo face à un soignant. Et ce message : « il est important de rester mobilisés et de s’informer auprès des bonnes sources ».

Ces bonnes sources justement, à savoir surtout ces nombreux soignants antillais résolument engagés pour la vaccination, espéraient un second tweet, du genre : « je relaie la parole de l’immense majorité des médecins, soignants et scientifiques ultra-marins qui nous appellent à nous vacciner ! »

Eh bien non, sur RTL le 14 septembre, Teddy Riner a refusé de s’engager explicitement pour la vaccination ou pour soutenir les soignants qui appellent les Antillais à le faire (contrairement à la footballeuse Wendy Renard notamment), arguant de la liberté de chacun de choisir.

Tel est certes le droit du citoyen Riner, mais la déception est grande, notamment dans la communauté des soignants engagés tous les jours pour gérer ce que l’on peut appeler une tragédie antillaise.

 

Un échec politique

A l’instar du refus de la star antillaise, la crise du Covid laissera des traces profondes aux Antilles.

C’est que, pour mesurer la violence de cette quatrième vague épidémique, il faut rapporter les chiffres de la crise à l’ensemble du pays. 1.000 morts aux Antilles (peut-être le double considérant le fait que Santé publique France ne recense que les morts à l’hôpital), c’est comme si on annonçait 200.000 morts Covid en France hexagonale sur le seul mois d’août !

Une sorte de fatalisme où se mêlent culture et religion suffira-t-elle à panser les blessures occasionnées par des milliers de familles endeuillées ou blessées pour longtemps. par des fractures socio-culturelles subitement réveillées et probablement élargies, par les tensions entre Paris et les sociétés civiles des Collectivités ultra-marines, par le comportement enfin des décideurs locaux et des leaders d’opinion ?

Certes, le jour où le signal d’alarme a été déclenché, tout début août 2021, tant à Paris qu’à Fort-de-France, Basse-Terre, Saint-Martin et Saint-Barth, il était peut-être trop tard pour enrayer cette quatrième vague épidémique. Les Antillais n’ont pas eu de chance : les nouveaux exécutifs issus des élections régionales de juin n’étaient pas encore installés que déjà l’épidémie flambait en plein été. Juillet et août ne sont pas non plus des saisons propices à l’action de nos décideurs.

Ceci dit, outre la difficulté de l’Etat et de ses représentants sur place à créer des dynamiques mobilisatrices avec les forces locales, il faut sérieusement se demander si les décideurs locaux n’ont pas aussi tardé à réagir…

C’est que l’opinion publique locale est travaillée depuis des mois par des militants qui, plus encore qu’à Paris, ont surfé sur la vague anti-vax et anti-pass sanitaire pour régler leurs comptes avec Paris et la France. A Fort-de-France, dès le mois de juin, des manifestations violentes, notamment aux abords de la préfecture, des incendies notamment contre des centres de vaccination, l’accueil parfois houleux de mille soignants venus de la métropole depuis début août pour épauler les Antillais, un intense lobbying sur les réseaux sociaux ont permis à un cocktail d’activistes indépendantistes anti-colonialistes, anti-capitalistes et anti-France (dont beaucoup, tragédie dans la tragédie, sont morts ou frappés par un Covid long) de se refaire une santé. Ils ont largement contribué à ce que si peu d’Antillais ne se fassent vacciner.

La triste réalité politique est que la plupart des politiques locaux n’ont pas voulu se dresser contre cette doxa populaire pour dire « vaccinez-vous ». Ainsi, pour ne prendre que la Martinique, Serge Letchimy, nouveau président de le Collectivité, traîne des pieds depuis juin pour appeler ses concitoyens à se faire vacciner. Le nouvel homme fort de la Martinique hésite toujours à prendre l’initiative d’une forte mobilisation des élus et des citoyens au côté des soignants pour encourager clairement à la vaccination, comme son devoir de président de la CTM l’exigerait. Imaginez Macron, Castex et Véran s’abstenir sinon du bout des lèvres à appeler les Français à se faire vacciner…

Serge Letchimy est venu à Paris la semaine dernière rencontrer le gouvernement : gageons que les subventions qu’il négociera seront subordonnées à son engagement résolu dans un plan de vaccination au plus près des Martiniquais.

Car il est à craindre que les Antillais n’en aient pas fini avec le virus Covid Delta : avec un taux de vaccination aussi bas, la crainte d’une cinquième vague ne peut être écartée.

 

Les scientifiques ultra-marins pleinement mobilisés

C’est dès maintenant pourtant qu’il faut retisser le fil de l’unité entre d’une part les Antillais entre eux, et d’autre part entre les Antilles et l’ensemble de la communauté nationale.

Une réelle lueur d’espoir s’est dessinée ces dernières semaines : l’extraordinaire mobilisation des scientifiques, médecins et soignants ultra-marins qui, de 30 début août à plus de 800 aujourd’hui, ont signé sur le site de référence https://covidurgenceoutremer.com/ et relayé sur le terrain, par mille et une actions de persuasion et de déminage personnalisé des obstacles, un Appel solennel aux Ultra-marins à se vacciner au plus vite.

Pourquoi tous les élus à commencer par Serge Letchimy, les artistes et sportifs (Thierry Henry, Raphael Varane, Laurent Voulzy et tant d’autres aussi silencieux que Riner jusque là), les leaders d’opinion (malheureusement les influenceurs les plus populaires sur la toile flirtent avec les anti-vax), bref toutes les personnes en responsabilité ne signeraient pas un Appel relayant tout simplement celui des scientifiques, pour encourager leurs concitoyens à faire de même.

Ces deux Appels pourraient être la base d’une reconstruction du lien entre Antillais, durement secoué par cette tragique épreuve. Ils pourraient surtout permettre de restaurer une double confiance qui n’aurait jamais dû être entamée : celle des médecins qui depuis la nuit des temps n’ont pas d’autres objectifs que de mobiliser la science pour sauver des vies. Celle aussi de la France dont on oublie trop souvent que l’immense majorité des Antillais, n’en déplaise aux démagogues, sont profondément attachés à la République française.

 

Michel TAUBE

 

Directeur de la publication