Droits pratiques
10H26 - mardi 18 mai 2021

Proposition de loi visant à sanctionner pénalement les parents pour les infractions commises par leurs enfants : coup politique ou vraie réforme ?

 

La chronique Droits Pratiques de Raymond Taube

Le député de l’Indre François Jolivet (LREM), soutenu par une vingtaine d’autres députés, a déposé une proposition de loi instaurant une responsabilité pénale des parents en cas d’infraction commise par leurs enfants. Ainsi, le juge pourrait « vérifier si des parents n’ont pas, par imprudence, négligence ou manquement à leurs obligations parentales, laissé leurs enfants mineurs commettre une faute pénalement répressible. Ils encourraient donc, selon l’article 121-7 du Code pénal, les mêmes sanctions que l’auteur de l’infraction. »

Cette proposition semble imprudente, même si en matière civile, les parents sont responsables des faits commis par leurs enfants : ils sont comptables du préjudice que leurs enfants occasionnent à des tiers. Mais pénalement, on n’est jamais responsable des fautes des autres, l’article 121-1 du Code pénal disposant que « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » Du reste le contraire contreviendrait à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’Homme elles-mêmes. Néanmoins, le comportement des tiers, et en particulier des parents, peut revêtir une qualification pénale, l’exemple le plus flagrant étant celui de la complicité du ou des parents à un délit ou un crime commis par leur enfant, hypothèse qui pourrait en outre leur valoir un retrait de l’autorité parentale.

Ce que proposent ces députés existe en vérité déjà, mais n’est quasiment pas appliqué, comme c’est trop souvent le cas de notre droit pénal, ce d’où il découle un aléa, voire un arbitraire judiciaire (pas de chance pour celui qui se fait attraper et qui va payer pour les autres si cela sied au juge).

En effet, l’article 227-17 du Code pénal dispose que « le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
L’infraction prévue par le présent article est assimilée à un abandon de famille pour l’application du 3° de l’article 373 du Code civil. »

Cet article fait écho à l’article 371-1 du Code civil qui définit l’autorité parentale, et à l’article 375 du même code qui dispose que si la santé, la sécurité, la moralité, etc. d’un enfant sont en danger, le juge des enfants peut ordonner une mesure d’assistance éducative pouvant aller jusqu’au placement de l’enfant dans un foyer d’accueil.

S’agissant de la déscolarisation d’un mineur (y compris lorsqu’elle est remplacée par un enseignement ne respectant ni les programmes scolaires ni les préceptes de la République), l’article 227-17-1 dispose que « le fait, par les parents d’un enfant ou toute personne exerçant à son égard l’autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l’inscrire dans un établissement d’enseignement, sans excuse valable, en dépit d’une mise en demeure de l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »

Pourquoi ces articles, en particulier l’article 227-17, sont-ils si peu appliqués ? L’un prévoit qu’un « motif légitime », l’autre qu’une « excuse valable » permet d’échapper à toute sanction. Or force est de reconnaître qu’il est assez facile de trouver un motif légitime, donc une excuse, au parent défaillant, en particulier dans les familles dites monoparentales, lorsque la mère élève seule ses enfants.

L’incapacité des parents à maîtriser leurs adolescents n’est pas l’apanage des familles en grande difficulté sociale, issues de l’immigration ou que l’on qualifierait de séparatistes. Il advient même que des parents de famille aisée sollicitent un éducateur libéral, voire les services de l’Aide sociale à l’enfance ou même le juge, parce qu’elles ne maîtrisent plus leurs adolescents. Cela peut être la conséquence d’une sacralisation de l’enfant-roi, et du rejet parfois dogmatique de l’autorité et du respect, tant dans le cadre familial que dans celui de l’école. Mais force est de constater que la délinquance juvénile violente est très majoritairement le fait des jeunes des « quartiers sensibles ». Par ailleurs, on ne saurait nier que le trafic de drogue auquel participe l’adolescent, en tant que vendeur ou guetteur, aide parfois les parents à remplir leur chariot de supermarché ou à payer leur loyer.

Avec une formulation différente, ces députés n’ont fait que proposer ce qui existe déjà, convaincus comme tant d’autres qu’une nouvelle loi, une de plus, règlerait au moins partiellement les problèmes. Or il suffit d’appliquer l’existant, en faisant preuve de moins de mansuétude, et en cessant d’invoquer abusivement l’excuse sociale, voire ethnique, sur fond de discrimination. Cela ne pourrait qu’encourager les parents à exercer leur autorité parentale, ce qui est leur devoir moral et juridique. Trop nombreux sont ceux qui laissent leurs adolescents livrés à eux-mêmes, trop contents qu’ils soient à l’extérieur du domicile familial. Mais peut-on maîtriser un adolescent de plus de 15 ans, surtout si le père n’est plus au domicile ? Peut-on le séquestrer, a fortiori s’il partage une chambre avec plusieurs frères et sœurs, et qu’il n’aspire qu’à rejoindre ses copains, au risque de se retrouver dans une bande délinquante ou d’être récupéré par les dealers ou les pseudo-imams radicalisés ?

Le droit actuel, même lorsqu’entrera en vigueur le Code pénal des mineurs, considère qu’un mineur délinquant est d’abord un enfant en danger, ce qui ne fait pas obstacle à des sanctions pénales s’il a plus de 13 ans. L’article 227-17 du Code pénal est donc en parfaite cohérence avec cette logique : les parents sont pénalement responsables si leur faute ou faillite éducative ne peut être justifiée par les circonstances, y compris lorsque l’enfant tombe dans la délinquance.

La proposition Jolivet peut être vue comme une manière de préciser les choses, de pointer la dérive pénale du mineur que les parents auraient permise « par imprudence ou négligence », et de les sanctionner en conséquence. Mais eu égard au droit existant et aux pratiques judiciaires, il est peu probable qu’elle suscite l’enthousiasme des juges. Si elle était adoptée, cette proposition ne changerait probablement rien. On est donc plus dans le coup politique que dans une réforme de fond, mais la démarche peut aussi s’analyser comme une exaspération de plus face à une justice que les Français dans leur majorité considèrent comme laxiste et, ce qui est bien plus grave, en laquelle ils n’ont plus confiance. Hélas, la magistrature ne se remet jamais en question et cultive son irresponsabilité sous couvert d’indépendance.

 

Raymond Taube

Directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique

 

 

 

 

 

 

 

 

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