Afriques demain
20H57 - mardi 20 août 2019

Comment les Emirats Arabes Unis sont en train de conquérir l’Afrique

 

On parle souvent de Chinafrique pour évoquer la main mise de Pékin sur le continent. On évoque les ambitions russes, la présence désormais installée des Etats-Unis, l’activisme israélien, les plans d’investissements japonais, la traditionnelle connexion sud-africaine, les efforts de la France pour y défendre ses intérêts historiques… Un nouvel acteur, discret, jusque là presque secret, est apparu sur la scène africaine : les Emirats du Golfe arabo-persique.

 C’est à l’occasion de la guerre du Yémen, où l’Emir d’Abu Dhabi Mohammed ben Zayed, allié à son ami Mohammed Ben Salman, homme fort de l’Arabie saoudite, est intervenu massivement avec ses forces militaires contre les forces du nord-Yémen, que les Emirats ont fait surface en Afrique.

Par ses bases aériennes en Erythrée et au Somaliland dont l’aviation bombarde le Yémen, Abu Dhabi a marqué son empreinte. Avec une base saoudienne à Djibouti, le Golfe arabo-persique est devenu un acteur majeur dans les luttes d’influence complexes qui menacent l’équilibre de l’Afrique de l’est, et plus particulièrement la Corne de l’Afrique, ensemble formé par le Kenya, la Somalie, l’Erythrée, le Soudan et Djibouti.

La Fédération des Emirats du Golfe a promis à l’Ethiopie d’investir 3 milliards de dollars dans son développement, et en ont déjà versé 100 millions. En échange, les Ethiopiens ont calmé le jeu avec leur voisin, l’Erythrée, avec qui la guerre durait depuis vingt ans, et signé une paix historique.

Les Emirats et l’Arabie saoudite y ont gagné une image de médiateurs sur le plan international. Mais cette diplomatie du carnet de chèques, dont les résultats paraissent en première lecture flatteurs, sont en réalité fragiles.

Les effets pervers ne sont pas absents de cette façon d’agir, fondée sur des intérêts stratégiques immédiats, plus que sur un réel travail de rapprochement, et sur une vision politique d’avenir.

Ainsi voit-on apparaître au centre de tous les débats un protagoniste désormais incontournable, le président érythréen Issayas Afeworki, jusqu’alors persona non grata sur la scène internationale, à cause de son régime couramment comparé par les spécialistes à celui de la Corée du nord.

 

Une stratégie à long terme

Au-delà de la guerre au Yémen, menée pour s’opposer aux Houthis du nord, soutenus par l’Iran, c’est un plan politique et économique à long terme que développent les Emirats.

Une étude de la Chambre de commerce de Dubaï, publiée en 2015, confirme que l’Afrique de l’est est devenue leur deuxième pôle d’investissement des Emirats en Afrique, après l’Afrique du sud.

Selon Marc Lavergne, géopoliticien spécialiste du Moyen Orient, la conquête économique des Emirats s’est accentuée depuis 2008, dans la perspective de « l’après pétrole », pour des Etats qui tirent encore l’essentiel de leurs revenus des hydrocarbures. 

Le réservoir de matières premières que représente l’Afrique garantit aussi aux Emirats des opportunités pour les années à venir, et des garanties de retour sur investissements.

En Angola, c’est près de deux milliards de dollars que les Emirats arabes unis s’apprêtent à injecter dans de nombreux secteurs de l’économie du pays : agriculture, industrie, énergie. Il y a moins d’un an déjà, Abu Dhabi et Luanda avaient signé des accords de coopération dans les domaines de la production, du transport, et de la distribution d’énergie.

Une centrale électrique sera bâtie et mise en service à Moxico, ainsi qu’un système complet de distribution, afin d’intégrer l’est du pays, pour l’heure désenclavé, au système national d’électricité.

La construction d’un système performant de distribution d’eau potable est aussi à l’ordre du jour. Preuve que les Emiratis sont désormais déployés sur des investissements très diversifiés, et non plus seulement sur les infrastructures en «  dur » : routes, ports, aéroports. L’industrie, les nouvelles technologies, les énergies renouvelables, les services, sont le nouveau credo de leur politique économique en Afrique.

 Nouveaux clients des EAU, les pays africains tissent aussi des liens sans doute durables avec leurs nouveaux partenaires arabes, qui sauront les exploiter, en leur donnant un poids de plus en plus important dans les Etats concernés.

C’est en effet par l’intermédiaire d’entreprises étatiques que les Emirats deviennent des acteurs centraux : le rachat de Maroc Telecom en 2014 leur a permis, par le biais d’Etsalat, opérateur historique du Golfe arabo-persique, de devenir l’un des plus gros opérateurs en Afrique de l’Ouest. Le taux de bancarisation important en Afrique du nord a poussé Abu Dhabi Islamic Bank, et Union National Bank à s’y fixer.

En Egypte, depuis2011, plus de 15 milliards de dollars sont venus irriguer l’économie, dont près de la moitié pour la seule année 2018. Le gaz, l’immobilier, l’armée sont devenus les bénéficiaires des libéralités émiratis en Egypte. Au Soudan, les Emirats et l’Arabie saoudite ont promis une aide de trois milliards de dollars.

Le souci premier des monarchies du Golfe n’étant pas à priori la propagation de la démocratie en Afrique, mais plutôt le maintien d’un statu quo le plus éloigné possible des modèles tunisiens ou algériens de « printemps arabes », il n’est pas certain que l’entrée tonitruante des émirs en Afrique soit porteuse d’avancées politiques dans une région qui en aurait pourtant bien besoin. 

 

Claudie Holzach