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09H22 - dimanche 9 décembre 2018

Quand le Technion réconcilie l’Homme et la Data : entretien avec Muriel Touaty à la veille du #TechnionConnectedWord

 

Elle préside aux destinées du Technion France. Connue des lecteurs de notre rubrique phare « Sois belle et ouvre la ! », Muriel Touaty explique les enjeux de la 16èmeédition de la Manifestation annuelle du Technion France, #TechnionConnectedWord, qui se tiendra lundi 10 décembre à la Maison de la Chimie à Paris. 10.000 participants, une forte délégation israélienne conduite par Peretz Lavie, président du Technion, seront au rendez-vous de cet événement parrainé par Emmanuel Macron, président de la République. Entretien.

 

 

Raymond Taube : le Technion, Israël Institute of Technology, est considéré comme une des meilleures universités scientifiques et technologiques du monde. Comment expliquez-vous cette réussite, et au-delà, celle des universités israéliennes ?

Muriel Touaty : un peu d’histoire d’abord : le Technion a été fondé en 1924, soit vingt-quatre ans avant la création officielle de l’État d’Israël, par Albert Einstein, qui déjà subodorait une nation en devenir, ce qui supposait de bâtir son génie civil, son infrastructure, sa santé, sa sécurité, des objectifs rendant indispensable de se doter d’une école d’ingénieurs. Ce sont pour l’essentiel des Juifs d’Europe de l’Est fuyant les pogroms qui ont initié ce qui s’appelait à l’époque le Techikum. On y parlait l’allemand. Dans la première promotion de vingt-quatre étudiants, des physiciens et des chimistes, figuraient quatre femmes, ce qui était remarquable à l’époque.

Aujourd’hui, le Technion est devenu un fer lance de l’innovation à l’échelle mondiale. Sur un périmètre de cent hectares, il s’apparente à une ville à part entière englobant dix-huit facultés qui couvrent les champs les plus pointus de la recherche scientifique et technologique, avec quarante instituts interdisciplinaires. Quatre lauréats du prix Nobel de chimie sont issus du Technion.

Mais son principal atout est un écosystème entrepreneurial extrêmement puissant, doté de huit incubateurs et un accélérateur. L’ADN du Technion est l’excellence de la recherche fondamentale qui se met de manière totalement décomplexée au service de la recherche applicative, pour générer de la croissance et de la valeur ajoutée par l’innovation. Ainsi, le Technion génère des startups qui deviennent ce que l’on appelle parfois des licornes, à savoir des sociétés leader dont la valeur boursière dépasse le milliard de dollars, et dont on soulignera qu’elles sont plus nombreuses en Israël qu’en France, bien qu’il s’agisse d’un très petit pays et d’un micro-marché. D’autres deviennent des « exit », en recourant à des capitaux étrangers avant de se faire racheter, ce qui correspond dans une large mesure au business-modem israélien. Après les Etats-Unis et la Chine, Israël est le troisième pays du monde en nombre d’entreprises cotées au Nasdaq. Ce modèle permet de réinjecter dans l’innovation les capitaux issus de ces cessions.

Le secteur public finance a minima le volet opérationnel du Technion, et encore moins la recherche. C’est pourquoi le chercheur devient entrepreneur malgré lui, même si tel n’était pas sa vocation. C’est par ce biais qu’il pourra financer son laboratoire et sa recherche. Il n’y a pas de tabou ou de mauvaise conscience à agir ainsi, contrairement à ce que l’on constate dans d’autres pays. En Israël, la coopération étroite et sereine entre l’entreprise et les universités est une évidence. Il se créer un équilibre voire une alchimie entre les deux univers. Un étudiant du Technion est formé à l’entrepreneuriat et à la création de l’innovation, et est en relation directe et permanente avec l’écosystème. Israël est un petit marché, mais un grand écosystème très interconnecté. Il est encouragé plus que financé par les pouvoirs publics. La richesse d’Israël, son or noir, c’est l’innovation, la ressource humaine sur laquelle on capitalise, ce qui se traduit notamment par de considérables avancées dans le secteur de l’intelligence artificielle et de la cyber-sécurité.

  

La coopération entre la France et Israël se développe-t-elle ?

Oui, cette coopération scientifique se développe considérablement, et je crois pouvoir dire que j’y ai contribué en créant le Technion France en 2002, bien avant qu’Israël soit considéré comme la « Startup nation ». Comme un petit Poucet, j’ai transmis en France mon discours pragmatique auprès des dirigeants des grandes entreprises et des institutions publiques, pour expliquer l’intérêt que pouvait avoir pour eux la coopération avec le Technion. J’ai réussi à installer une confiance entre les personnes autant qu’entre les institutions pour que cette coopération se développe sur le fondement d’intérêts communs. J’ai fait venir en Israël, au Technion, des milliers de décideurs afin de leur montrer ce qu’il peut leur apporter et pour créer des liens pérennes, une condition indispensable à faire émerger un véritable partenariat durable. Des groupes comme Havas, Veolia, Sanofi, Total, Alstom, Schneider Electric et bien d’autres ont travaillé avec le Technion, parce qu’ils y trouvaient un intérêt en termes de technologie, d’innovation et d’investissement dans des startups, du fait de l’excellence de la recherche au sein du Technion.

  

Le Technion accueille-t-il des étudiants de pays n’ayant pas de relations diplomatiques avec Israël, notamment des étudiants palestiniens ?

Le Technion travaille avec les Palestiniens sur les enjeux de traitement et de partage de l’eau. Nous travaillons également avec les pays du Maghreb, en particulier le Maroc. 22% de nos étudiants sont arabes israéliens, dont la moitié sont des femmes. Le Technion, c’est la mixité réussie, c’est la diversité. Ce sont à mes yeux des valeurs fondamentales, qui pourraient d’ailleurs être un modèle pour le monde arabe. 

 

La Data pour l’Homme

Le thème du #TechnionConnectedWord est « Vers l’union de l’Homme et de la Data ». Ne pensez-vous pas que cette union puisse conduire au transhumanisme et à ses dérives, comme l’homme augmenté voire la quête de l’immortalité ? 

Je ne crois absolument pas au risque de dérive transhumaniste, même si certains, y compris les GAFA, l’évoquent parfois. Les partenaires du Technion et les personnalités qui interviennent au #TechnionConnectedWord mettent d’abord en exergue l’humain. Il doit être au centre du débat. Quand j’évoque la rencontre de l’humain et de la data, je reprends en quelque sorte le syndrome de la Planète des singes, comme le fait régulièrement le paléoanthropologue Pascal Picq : dans le roman de 1963, les singes n’ont pas fait de coup d’État, n’ont pas pris le pouvoir par la guerre. Ils sont arrivés parce que l’homme avait renoncé. C’est ce message que je veux faire passer dans ce colloque : il faut harmoniser cette nouvelle ère du data avec notre condition humaine. Cela passe par l’éducation et la formation. Là est le vrai enjeu, car nous n’échapperons pas aux technologies.

 

N’existe-t-il pas pourtant quelques apprentis sorciers dont l’humanisme n’est pas la première préoccupation ?

Il y en a et il y en aura, mais ce n’est pas dans cette direction que nous évoluerons. Je préfère parler d’homme réparé que d’homme augmenté. Nous serons mieux soignés grâce aux objets connectés, la longévité de la vie augmentera, le rapport avec le clinicien sera peut-être différent, mais je ne crois pas du tout que l’homme deviendra un robot. Je ne m’aventure pas sur ces terrains sinueux et préfère laisser la parole à des professionnels qui travaillent sur ces sujets, y compris des prospectivistes, mais dont la condition sine qua non est de positionner l’homme au cœur du sujet.                       

 

Le souci des Européens de protéger les données personnelles, notamment avec le RGPD, n’est-il pas un handicap au développement de cette société du data, handicap qui n’existe pas ailleurs ?

À force de protéger les données, on risque de créer une forme de sclérose. Ceci dit, la CNIL interviendra au #TechnionConnectedWord qui est, comme le Technion dans son ensemble, un forum d’échanges d’idées et de pratiques. Il est indispensable que des experts dont les analyses et les cultures divergent puissent échanger et débattre afin que l’alchimie puisse se créer. Dans un esprit d’adversité, on est toujours perdant. Notre avenir, c’est l’homme avec la data, pas la data contre l’homme. Je crois en une société où le progrès est partagé par tous. La France est un grand pays, mais aussi un pays très axé sur ses acquis. Elle ne peut se permettre de manquer le train du numérique et de la data, et elle a déjà pris du retard.

 

Y a-t-il une question à laquelle vous souhaiteriez répondre et que je ne vous ai pas posée ?

S’agissant de la France et d’Israël, mon grand pari, et aussi le moteur de mon engagement personnel, est de rapprocher ces deux pays que sont la France et Israël pour qu’ils puissent s’accepter et se comprendre dans leurs différences.

 

Propos recueillis par Raymond Taube, Rédacteur en chef d’Opinion Internationale, chef de rubrique « Droits pratiques » et « A votre santé », directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique

 

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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