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06H46 - vendredi 1 février 2013

Tribune : « l’avant-projet de Constitution ne garantit toujours pas suffisamment les libertés fondamentales »

 

Myriam Guetat, avocate et doctorante en droit international public, analyse le volet des droits et des  libertés du projet de Constitution actuellement en discussion dans la société tunisienne.

 

 

 

Rédiger un texte qui préserve autant les droits de Dieu sur l’Etat que ceux du citoyen, tel est l’esprit qui semble motiver l’avant projet de la Constitution tunisienne en matière de droits fondamentaux et de libertés : le texte actuel est un compromis réaliste compte tenu des entités représentées au sein de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC). Ce compromis n’a pourtant pas échappé aux balbutiements et au flou qui ont marqué les travaux de cette dernière.

Le texte ne détermine ni les contours ni les conditions de cet équilibre délicat. Il tombe au contraire dans les généralités, et au lieu de s’en tenir aux questions primordiales et aux grandes lignes, l’avant projet de la constitution est devenu un fourre-tout, une occasion pour chaque camp de renforcer sa position et de poser son sceau idéologique sur le texte. Ainsi, et malgré la nette évolution par rapport au premier projet surnommé le « brouillon » présenté en août 2012, l’ambigüité persiste et on peine à identifier une construction idéelle cohérente et homogène. La philosophie des droits est pour ainsi dire mal assumée et les garanties limitées.

 

Le malaise culturel

En commençant par la lecture du préambule, on distingue plusieurs points positifs en ce qu’il consacre en bloc la république, la souveraineté du peuple, l’égalité parfaite entre les citoyens et les citoyennes, le pluralisme, la neutralité administrative, etc. Mais on ressent vite le malaise des rédacteurs quant à la philosophie des droits à adopter.

L’esprit de la  Constitution se baserait sur « les constantes de l’islam et de ses finalités caractérisées par l’ouverture et la modération » mais aussi sur « les nobles valeurs humaines et les principes des droits de l’homme ». Cette dernière serait aussi inspirée par le « mouvement réformiste fondé sur les éléments de son identité arabo-musulmane et sur les acquis universels de la civilisation humaine ».

C’est donc dès les premières lignes que le débat sur l’universalité des droits et le relativisme culturel va s’installer et on décèle aisément un parti pris en faveur de la seconde position. En effet, l’usage des  termes est loin d’être anodin car d’un côté on évite de mentionner l’universalité des droits de l’homme et de l’autre on penche vers ce concept vague et évasif que sont « les constantes de l’islam ». Et bien que la proposition de la création d’un Conseil supérieur de la Fatwa qui contrôlerait la conformité des lois avec les dispositions religieuses ait été retirée, le recours à de tels concepts pourrait remettre la question sur table. Il devient, en effet, logique de créer une instance capable de déterminer au cas par cas lesdites constantes.

Ce constat, combiné à l’article 148 qui met fin à l’ambivalence de l’article premier et proclame l’Islam comme religion de l’Etat nous permet d’avoir des doutes sur le caractère civil de l’Etat et donc sur la teneur des droits cités dans le texte de l’avant projet.

 

Par ailleurs, l’article 4 de l’avant projet soulève plusieurs zones d’ombres. Il stipule que « l’État est le garant de la religion » et qu’il est «le protecteur du sacré et le garant de la neutralité des lieux de culte par rapport à toute propagande partisane ». Déjà, et par souci d’égalité et de neutralité, il aurait été préférable de recourir à l’usage du pluriel en stipulant que l’Etat est le garant des religions. Aussi, l’Etat s’érige comme garant du sacré, une mention qui n’est pas sans nous rappeler l’article controversé 2.3 du projet de brouillon qui incriminait l’atteinte au sacré, sans toutefois définir le sens ni les contours de ce concept qui a été considéré comme une limite à la liberté d’expression.

 

Quant à l’interdiction de la propagande partisane dans les lieux du culte, on ne peut que rester dubitatif. Il est clair qu’on ne peut empêcher les prêches de s’intéresser à la chose publique et de tenir des propos qui s’apparentent au discours politiques explicite. Mais quelle serait, dans ce cas, la limite qui servirait à départager un simple prêche de la propagande partisane surtout quand l’un des partis les plus influents du pays exploite le fond religieux ?

 

Concernant la deuxième partie sur les droits et les libertés, l’évolution par rapport au brouillon est marquée par l’introduction des droits économiques et sociaux, une meilleure protection de la liberté d’expression et la modification de l’article sur le statut de la femme. Ceci dit, cette partie reste très peu cohérente. Elle ne détermine pas non plus les conditions de limitation de ces droits par le législateur et laisse donc la porte ouverte aux pratiques de la constitution de 1959.

 

Des garanties limitées aux droits et aux libertés


C’est en se penchant sur l’article 15 de l’avant projet qu’on commence à se rendre compte que les droits consacrés dans l’avant projet de la Constitution restent insuffisants.

En effet, on peut lire dans l’article que « Le respect des traités internationaux est une obligation, tant qu’ils ne sont pas contraires aux dispositions de la présente Constitution ». Une telle disposition est contraire à l’essence même du principe selon lequel les Etats sont tenus par le respect de leurs obligations. Cet article représente dans l’esprit de ses rédacteurs un détour simple pour se dérober des obligations internationales et antérieures de la Tunisie sans passer par les procédures et les modalités de retrait prévues par lesdites conventions.

 

La Tunisie ayant ratifié le bloc des conventions qui forment le droit international des droits de l’homme, un tel article est dangereux en ce qu’il démasque une volonté de s’éloigner de l’esprit général du droit international en la matière et qu’il peut concrètement mener à ignorer ce dispositif.

Par ailleurs, l’article 64 tel que proposé par la commission des pouvoirs législatif et exécutif prévoit que les lois qui concernent « L’organisation des partis politiques, des associations, des organisations et des ordres professionnels et leur financement… Les libertés, les droits de l’homme, le droit au travail et le droit syndical, le statut personnel, les devoirs fondamentaux de citoyenneté » prennent la forme de lois organiques qui sont, selon l’article 57 de l’avant projet, sont votées à une majorité absolue (50+1).

Cependant, la modification apportée à l’article 64 par le comité de rédaction et de coordination , a fait que toutes les matières mentionnées ci-dessus prennent la forme de lois ordinaires c’est-à-dire votées à la majorité des présents qui ne doit pas être inférieure aux 1/3 des membres de l’assemblée.

C’est en effet l’importance de ces matières qui explique le choix de la forme de loi organique qui s’accompagne d’un système de vote plus strict.

Ainsi, on ne pourrait pas envisager que des lois qui touchent aux droits et libertés ou au statut personnel, et donc au mode de vie des individus et à la stabilité de leurs situations, soient susceptibles d’être changées aussi facilement et qu’ils dépendent des références et des « humeurs » d’un petit nombre de députés. De telles dispositions représentent donc de graves limitations à la protection des droits et des libertés qui ne sont pas à prendre à la légère.

 

Pour finir, il transparaît que l’avant-projet de Constitution tunisienne n’a pas réussi à incarner l’équilibre souhaité entre les facteurs religieux et identitaires d’un côté et la consécration de la philosophie moderne des droits de l’homme d’une autre. Cette dualité et ce malaise qui transparaissent du texte sont à l’image des tensions qui ont accompagné toutes les phases de sa rédaction.

Il reste à attendre de voir les résultats des débats en assemblée plénière de l’ANC en matière de garantie des droits qui font indéniablement partie des prochains défis à relever.


Myriam Guetat, avocate à Tunis et doctorante en droit international public à l’Université de Nice Sophia Antipolis

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