Abolir la peine de mort
13H41 - lundi 8 octobre 2012

Florence Bellivier : « Les moratoires sur la peine de mort sont extrêmement fragiles »

 

La 10ème Journée mondiale contre la peine de mort va être célébrée le mercredi 10 octobre 2012. Une occasion pour Florence Bellivier, présidente de la Coalition mondiale contre la peine de mort, de dresser un tour d’horizon du combat contre la peine de mort dans le monde.


Quelle est la situation actuelle de la peine de mort dans le monde ?

Dix ans après la première Journée mondiale contre la peine de mort, on peut dire que la peine de mort se porte à la fois bien et mal. Certes, les 15 dernières années ont vu une très forte réduction du nombre de pays pratiquant la peine de mort. Aujourd’hui, ils sont 58 sur 193 États dans le monde à l’appliquer. Le rythme des pays abolissant la peine capitale s’est un peu ralenti ces dernières années mais la baisse reste nette. Au cours de l’année 2011, au moins 680 prisonniers (en dehors de la Chine ont été exécutés dans 21 pays et 1923 personnes ont été condamnées à mort dans 63 pays.

En même temps, les exécutions dans les pays dits rétentionnistes n’ont pas diminué. Les « champions » restent la Chine – avec un nombre d’exécutions très opaque (1 000 ? 5 000 ? 10 000 ?), les États-Unis, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Irak.

Il y a aussi eu d’énormes déceptions. Les deux plus récentes ont été l’exécution de deux personnes au Japon [le 27 septembre 2012, ndlr] et les neuf Gambiens exécutés fin août. Pour le Japon, cela s’est fait dans le plus grand secret, mais en Gambie, le président Yahya Jammeh l’avait annoncé pour septembre et a pris tout le monde de court en le faisant avant la fin du mois.


D’autres exécutions sont-elles prévues cette année en Gambie ?

Non. Le président gambien avait effectivement prévu plus de 9 exécutions mais il a apparemment reculé. Le cas gambien est remarquable car il révèle l’extrême fragilité des moratoires. Il n’y avait pas eu d’exécution dans ce pays depuis 27 ans. La Gambie était classée comme appliquant de facto un moratoire sur la peine de mort. On considère en effet qu’un pays n’exécutant pas pendant au moins 10 ans a implicitement instauré un moratoire, les moratoires explicites étant rarissimes.


Pourquoi le mouvement d’abolition de la peine de mort semble-t-il ralenti ces dernières années ?

Le mouvement abolitionniste international a engrangé de grands succès au début des années 2000 parce qu’il s’est attaqué à des pays « faciles », en quête de paix civile comme le Cambodge ou n’exécutant plus depuis longtemps, comme le Sénégal. [Le Sénégal a aboli la peine de mort en 2007, ndlr]

On s’attaque maintenant au noyau dur des pays rétentionnistes. Soit ce sont des démocraties, comme les États-Unis ou le Japon. Elles se drapent dans leur dignité en soulignant qu’elles font les choses « correctement », au terme d’un procès équitable, etc. Soit ce sont des pays ayant d’autres priorités. Ils peuvent se focaliser sur leur développement, mais on y trouve aussi les pays ayant connu une révolution, dont ceux du Printemps arabe. Entre 2007 et 2010, on pensait vraiment parvenir à l’abolition au Maroc et en Tunisie. Avec les bouleversements survenus en 2011, ce n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Soit enfin, on trouve des pays avec des institutions démocratiques très faibles ou absentes, les plus durs : la Chine, mais aussi beaucoup de pays musulmans. La grande majorité de ces derniers veulent garder la peine de mort.


Aucun pays arabo-musulman n’a aboli la peine de mort. Y a-t-il parmi les pays touchés par le « Printemps arabe » des Etats qui  envisagent d’abolir la peine de mort à brève échéance ?

La Tunisie l’a effleurée en 2011. Elle avait dit qu’elle ratifierait le second protocole du Pacte international des droits civils et politiques de l’ONU instaurant l’abolition. Aujourd’hui, le chantier institutionnel est tellement énorme que ce n’est plus du tout à l’ordre du jour. Mais contrairement à d’autres pays, le gouvernement tunisien ne considère pas pour autant la peine de mort comme nécessaire. C’est décevant quand on sait que le président tunisien Moncef Marzouki se dit publiquement abolitionniste.

L’Égypte, même si elle exécute relativement peu (4 exécutions en 2010), reste un pays qui condamne beaucoup à mort. La non-condamnation à mort de l’ex-président Hosni Moubarak, malgré ses crimes et la haine dont il fait l’objet, a donc été interprétée comme un signal positif par les abolitionnistes. En comparaison, les Irakiens n’avaient pas hésité à exécuter Saddam Hussein [en 2006, ndlr].

 

Le 6 novembre aura lieu un référendum d’initiative populaire en Californie lancé par les abolitionnistes californiens. Le choix proposé consiste à remplacer la peine de mort par une peine de prison à vie sans possibilité d’en sortir. N’est-ce pas remplacer la peine de mort par une autre mort pénale ?

Le référendum demandera aux Californiens s’ils veulent remplacer la peine de mort par la prison à vie sans libération conditionnelle possible. Il n’y a aucune certitude sur le résultat, même si les abolitionnistes californiens sont bien sûr très optimistes.

D’un point de vue stratégique, c’est intéressant. Pour un partisan des droits de l’homme, remplacer explicitement la peine de mort par la « mort sociale », surtout en Californie où cela signifie être placé en solitary confinement [i.e. en isolement total, ndlr], ce n’est pas satisfaisant. Mais on sait aussi qu’on est obligé de passer par là en Californie. C’est en procédant de cette façon, si le référendum réussit, que les associations pourront ensuite « grignoter » judiciairement la « mort sociale » qu’est l’isolement.

La formulation de la question est à noter. Les abolitionnistes californiens en ont longuement discuté. Certains proposaient « êtes-vous d’accord pour abolir la peine de mort en Californie ? ». La majorité a estimé que cette formulation ne pouvait pas être gagnante. À la place, le référendum propose donc de « remplacer » la peine de mort par une autre peine.

Mais l’abolition serait-elle passée en France si la perpétuité n’avait pas déjà été inscrite dans le code pénal, et donc automatiquement promise à devenir la peine la plus élevée ? C’est une question intéressante, car la perpétuité n’existe pas au Japon, par exemple.


Quelles sont aujourd’hui les priorités du mouvement abolitionniste international ?

Elles dépendent de ceux à qui nous nous adressons. En premier lieu, il y a nos membres. Une grande priorité est de créer une véritable communauté centrée autour du partage d’informations et d’expériences. Je rappelle que la Coalition mondiale contre la peine de mort est née en 2003 et que la première Journée mondiale a eu lieu en 2003. Grâce à cette plate-forme, des abolitionnistes de cultures, de situations et de traditions fort différentes, peuvent trouver un langage et des outils communs : comment défendre un condamné à mort, comment mener une campagne dans un pays hostile, etc.

Deuxième destinataire, les gouvernements. La communauté abolitionniste veut faire savoir qu’elle tient bon, même si elle subit régulièrement de cruelles désillusions. Il s’agit de faire prendre conscience que la peine de mort, à l’image de la torture, relève du droit international et des droits de l’homme, pas de la souveraineté des États.

C’est une priorité absolue, bien relayée par les institutions et les gouvernements européens. Nous sommes agréablement surpris de leur engagement pour la 10ème Journée mondiale contre la peine de mort. Ils organisent un peu partout des événements et affichent l’abolition comme une de leurs priorités.

La lutte contre l’argumentaire « souverainiste » est une autre de nos priorités. Dans ce cadre, à la fin de l’année, nous nous associerons, comme tous les deux ans depuis 5 ans, au soutien du vote d’une résolution appelant à un moratoire universel sur l’application de la peine de mort devant l’Assemblée générale de l’Onu. Tous les deux ans (car la résolution est présentée tous les deux ans), nous essayons d’avoir davantage de pays votant « pour » notre résolution. La dernière fois, nous en avions 109 (41 contre et 35 abstentions), nous en espérons au moins 112 cette fois-ci ! Bien sûr, des pays rétentionnistes font systématiquement une contre-proposition. Nous travaillons aussi sur ces pays pour qu’il y en ait le moins possible.


Quel est l’argument contre la peine de mort le mieux partagé par la communauté mondiale des abolitionnistes ?

L’argument le plus universel, le plus audible par toute la communauté internationale et par tous les êtres humains, c’est celui de la dignité, avec tout ce qu’elle implique. On ne peut pas enlever sa dignité à un homme, et donc sa vie, qui en est la base. On ne peut pas non plus lui nier toute capacité à s’amender. Personnellement, je trouve cet argument bien sûr fort, mais très général et philosophique.

Il faut aussi être concret, pragmatique et politique, et dans ce cas, l’argument le plus efficace est le risque de l’erreur judiciaire. Que ce soit en Ouganda, au Pakistan, aux États-Unis ou au Japon, l’idée que l’on pourrait exécuter une personne en réalité innocente heurte beaucoup les consciences. Pour ma part, je trouve cet argument un peu faible, dans la mesure où ce n’est pas un argument de conviction. Mais le fait est qu’il est très efficace.

En ce qui me concerne, j’estime que le déséquilibre entre l’État et l’individu est l’argument le plus décisif. Qu’un individu ait commis des crimes abjects est une chose. Que l’État s’arroge la possibilité de lui ôter l’existence en est une autre. Je pense que c’est un argument valable quels que soient le système et le pays, qu’on soit religieux ou non, développé économiquement ou non … Lorsque la machine étatique se met en branle contre un individu, le jeu est totalement inégal et d’emblée faussé.


Propos recueillis par Michel Taube


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