Human Rights
23H01 - dimanche 25 décembre 2011

Indonésie et Philippines :
négociations avec l’Arabie Saoudite –sur fond
de droits de l’Homme– au sujet des employées domestiques

 

Les mauvais traitements et graves violations des droits de l’Homme, subis par les travailleurs migrants dans les pays du Golfe, ont encouragé l’Indonésie et les Philippines, à prendre des réserves vis-à-vis de leur politique d’émigration.

La majorité des femmes originaires d'Indonésie et des Philippines employées dans les pays du Golfe sont des employées domestiques. (DR)

Le 18 Juin dernier, Ryatui, une Indonésienne de 54 ans employée comme domestique en Arabie Saoudite, a été décapitée au sabre. Condamnée à mort, elle était accusée de l’assassinat de son employeur. Le gouvernement Indonésien, qui n’avait pas été informé au préalable de son exécution, a alors rappelé son ambassadeur de Riyad. Un moratoire a été adopté, stoppant l’envoi de travailleurs jusqu’à une amélioration de leurs droits. Celui-ci a finalement été levé en novembre, après une visite du ministre saoudien des ressources humaines à Jakarta.

Les travailleuses domestiques originaires des Philippines se sont vues, quant à elles, refuser depuis le mois de juillet dernier les autorisations de visas. Alors qu’au regard des mauvaises conditions de travail, le gouvernement philippin avait demandé en février de stopper l’envoi d’employées domestiques dans le royaume saoudien, ce dernier refuse de les embaucher tant que leur salaire ne sera pas revu à la baisse.

 

Une stratégie assumée d’export de main-d’œuvre

Après Hong Kong, Taïwan ou Singapour, les pays du Golfe sont une destination majeure pour la migration de travail originaire d’Asie du sud. Plus d’un million de Philippins et autant d’Indonésiens sont employés en Arabie Saoudite. Ces migrants sont majoritairement des femmes travaillant comme domestiques.

Les deux pays, qui sont parvenus à négocier de meilleures conditions d’emploi pour leurs émigrés, passent pour des exemples à suivre pour les pays en développement.

Aux Philippines, le gouvernement a encouragé et institutionnalisé la migration du travail temporaire dès les années 1970. Le but est ouvertement de pallier au chômage local et d’attirer ainsi les transferts de fonds qui contribuent pour 10 % au Produit intérieur brut. De plus, cet afflux de devises étrangères constitue un moyen de corriger le déficit de la balance des paiements.

Le pays a su faire pression sur les employeurs et imposer une hausse des salaires ainsi que de meilleures conditions de travail. L’administration chargée de l’emploi des Philippins à l’étranger (POEA) coordonne et contrôle les différentes agences privées. Ces dernières doivent s’attacher à faire respecter les termes du contrat par les employeurs. Le cahier des charges comprend, par exemple, la provision d’une carte SIM, une assurance rapatriement en cas de décès, la prise en charge du vol aller/retour pour l’employé. Le passage du salaire minimum pour des employées domestiques de 200 à 400 dollars par mois.

Cependant, il est difficile pour les autorités de vérifier le respect des contrats de travail. Cela nécessiterait le déploiement d’inspecteurs nationaux dans tous les pays d’immigration et c’est là que réside toute la difficulté de protéger des ressortissants globalement dispersés.

De plus, le système du kalafa met les employés en situation de faiblesse, faisant dépendre de leur employeur le statut légal des migrants. Revendiquer leurs droits est difficile et changer d’employeur impossible pour les migrants qui ne possèdent plus de titre de séjour consécutivement à la perte de leur emploi. Dans ce contexte, les employées domestiques sont particulièrement vulnérables. Résidant sur leur lieu de travail elles sont d’autant plus dépendantes de leurs employeurs ; des cas de tortures sont même régulièrement reportés. En tant que femmes, elles sont également exposées aux agressions sexuelles.

"L'Arabie Saoudite est barbare". Des membres de l'association Migrant Care, en Indonésie, brandissent ces panneaux en protestation contre les tortures infligées à une employée domestique en Arabie Saoudite en 2010. Elle avait été hospitalisée suite aux violences. (DR)

L’Organisation internationale du travail s’est penchée sur ces difficultés et a adopté le 16 juin 2011 une Convention sur les travailleuses et travailleurs domestiques. Le texte, rejeté par la Grande-Bretagne, a été ratifié par les pays d’émigration et d’immigration (notamment l’Arabie Saoudite) et vise notamment à supprimer le kalafa. Là encore, la difficulté réside dans l’application du traité. Malheureusement, il est peu probable qu’il entraîne sur le court terme des améliorations notables du sort des migrants ; pire, le royaume s’abrite aujourd’hui derrière ce traité dans ses négociations avec les Philippines.

Par ailleurs, les capacités de pression des gouvernements sur les employeurs saoudiens ne sont pas illimitées, l’Arabie Saoudite tentant de son côté d’imposer ses propres conditions. Ainsi, depuis juillet, elle a stoppé la délivrance de visas pour les employées domestiques, après le refus du gouvernement philippin de réduire les salaires de 50 %. Cette décision a été accueillie favorablement par certains milieux aux Philippines, le déploiement de domestiques à l’étranger y faisant depuis longtemps débat. Dès 1988, il avait été proposé d’exclure ce métier des migrations de travail. Mais cette décision pose problème pour les employées en cours de contrat. Car, alors même que leur permis de résidence n’a pas été renouvelé, certains employeurs refusent de laisser partir.

 

Exclure pour mieux exploiter : c’est la politique de non-intégration des monarchies pétrolières

La situation des travailleurs migrants temporaires est rarement reluisante, en Europe comme en Amérique du Nord. Leur statut de « non-citoyens » légitime bien souvent leur exclusion légale de certains droits et avantages sociaux, l’objectif étant bien souvent de les dissuader de rester sur le territoire.

Dans les monarchies pétrolières, la situation est poussée à l’extrême dans la mesure où l’ensemble de l’immigration est le fait de travailleurs temporaires. Les économies des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) dépendent quasi exclusivement de main-d’œuvre étrangère, les nationaux étant employés dans le secteur public ou touchant des allocations financées par les pétrodollars. Un fossé existe entre les revenus et les droits des nationaux –en minorité numérique– et ceux des migrants. L’imperméabilité entre la population nationale et les migrants est totale.

Cela permet aux pays du CCG d’imposer des conditions de travail proches de l’esclavage, en évitant la déstabilisation politique que l’intégration des migrants pourrait causer. Ils constituent en effet 60 % de la population en moyenne et jusqu’à 90 % au Qatar. Dans les années 1970, la région faisait majoritairement appel à des migrants d’Afrique du Nord ou du Moyen Orient. A l’heure actuelle, ceux-ci, remplacés par des migrants originaires d’Asie ou d’Afrique Sub-Saharienne, ne représentent plus que 25 % de la main d’œuvre. Les pays du CCG ont ainsi toute liberté pour pratiquer des salaires très faibles, tout en évitant de ternir leur image auprès de leurs voisins. Lors de la construction de Borj Khalifa, la tour de plus de 800 mètres de hauteur qui symbolise la modernité de Dubaï, des hommes étaient sur le chantier 12 heures par jour, 6 jours par semaine, pour un salaire de 175 dollars par mois. Beaucoup d’entre eux y ont aussi trouvé la mort.

Aujourd’hui, les deux principaux pays d’envoi de main-d’œuvre asiatique sont susceptibles d’être remplacés par d’autres, plus pauvres et moins exigeants quant aux conditions de travail et aux salaires. En attendant, les pétrodollars continuent de financer des projets extravagants, comme la construction annoncée par le prince saoudien Alwaleed bin Talal d’une tour d’une hauteur de plus de 1 000 mètres à Jeddah.

 

Carine Dréau