Edito
15H41 - mercredi 26 octobre 2011

Chronique de la Révolution de Jasmin… Une semaine au coeur de la transition démocratique tunisienne

 

Revenir en Tunisie depuis la Révolution  et la chute de la dictature le 14 janvier, pour ceux qui n’en connaissaient que les années Ben Ali, c’est comme si on débarquait dans un pays, 20 ou 30 ans après l’avoir quitté. Et pourtant, notre précédent voyage remontait à fin décembre 2010 !

Presque tout a changé : la parole s’est libérée. Une sorte de frénésie de parole s’est emparée, surtout des jeunes. Inouï : les gens lisent les journaux dans la rue car auparavant la presse officielle se contentait d’abreuver les non-lecteurs d’apologies du couple Ben Ali – Trabelsi.

Aux terrasses des cafés, sur les allées de l’avenue Bourguiba – les Champs Elysées de Tunis, là-même où s’est jouée la Révolution devant le Ministère de l’Intérieur, on ne parle plus de football (sujet majeur sous l’ère Ben Ali) mais de politique. Librement.

La police, omniprésente auparavant, est absente. En tout cas, elle est invisible.

L’armée – et quelques chars – ont remplacé la police sur les places principales de Tunis. Mais avec la fleur au fusil plus qu’en brandissant la menace des bâtons comme les maniaient les policiers.

La liberté, ce sont aussi des choix personnels : une nièce qui décida de porter le voile (léger et coquet) le jour même où fut levé l’interdit imposé aux fonctionnaires sous Ben Ali.

La Tunisie vit un moment unique dans l’histoire de l’humanité. Comme la France et les Etats-Unis à la fin du XVIIIème siècle, comme les pays de l’Est lors de la chute du Mur de Berlin, les Tunisiens font leur révolution. Et de quelle manière ! Et une Révolution qui éclaire le monde, montre le chemin à d’autres et est enviée par les démocrates du monde entier. Pas que dans le monde arabe.

Alors, oui, l’insécurité règne désormais en ces lendemains de Révolution. Les rumeurs les plus folles circulent : on aurait attenté à la vie du premier Ministre…

Et puis, il y a des questions légitimes : mais où est donc passée la police politique, si nombreuse sous Ben Ali ? Dans le sud tunisien pour contrôler les mouvements de population, d’armes et autres trafics venus de la Libye ?

La crise économique menace : les millions de jeunes qui réclamaient un emploi et un avenir ont fait la révolution. Ils en attendent désormais les fruits ! Les touristes ont déserté les plages tunisiennes et la haute saison s’annonce délicate.

Dans les usines, la révolte gronde : plusieurs chefs d’entreprise, agressés, parfois injustement, ont dû fermer boutique, mettant à la rue des centaines, parfois des milliers, de salariés. Des usines ont brûlé.

A contrario, le Maire de Korba, petite station balnéaire vivant de l’industrie textile de sous-traitance, nous signale que le nombre d’investisseurs qui se renseignent pour envisager de s’implanter en Tunisie n’a jamais été aussi fort que depuis février, maintenant que c’en est fini de la corruption des Trabelsi. A moyen terme, nous en sommes convaincu, la liberté libèrera les énergies, économiques et culturelles. Mais à court terme…

Malgré ces nuages, la transition démocratique est en marche, inexorable : « l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique », un nom pompeux pour désigner l’Assemblée des décideurs tunisiens chargée de préparer les élections de la Constituante, travaille bon an mal an.

Quel mode de scrutin sera adopté ? Majoritaire à deux tours pour voir émerger une Assemblée homogène ? On va plutôt vers une proportionnelle intégrale (ou mixte) pour tenir compte de la diversité des courants politiques.

Tout le monde en convient – et les acteurs des révolutions portugaise et polonaise, venus témoigner leur soutien à leurs amis tunisiens, ont lourdement insisté sur ce point : il faut aller vite, vite changer de système politique, vite élire une Constituante qui adoptera une nouvelle Constitution et mettra la Tunisie sur de nouveaux rails.

Le risque de voir les islamistes du parti Ennahdha prendre le pouvoir est-il présent ? A court terme, nous ne le croyons pas. Les Tunisiens, comme l’immense majorité des Arabes, sont certes très croyants et les prêches politiques dans les mosquées (on a signalé la venue d’Imams d’Egypte) ont commencé. Mais la décision prise par l’Instance qui prépare les élections du 24 juillet de prévoir la parité hommes – femmes sur les listes électorales est pour nous un rempart formidable contre la menace islamiste.

Les Tunisiens, plus que tout autre peuple arabe, sont attachés aux progrès de civilisation qu’ils ont savamment tissés depuis déjà le XIXème siècle, notamment en matière de droits des femmes, d’adoption, de droit civil et de la famille, d’éducation également.

Au fond, dans quelques années, ce n’est peut-être pas par hasard que l’on pourra dire que la démocratie arabe est née en Tunisie…

A moyen ou long terme en revanche, si le désordre s’installe durablement, la question se posera d’un pouvoir religieux conservateur mais qui pourrait être plutôt sur la ligne de la Turquie actuelle. La Tunisie est condamnée à réussir sa révolution.

L’essentiel est à court terme d’intégrer dans le jeu politique toutes les forces politiques, notamment les Islamistes. Nous ne donnerons qu’un exemple. La Tunisie pourrait bien être le premier arabe à abolir enfin la peine de mort de son arsenal judiciaire. Pour y arriver, les arguments existent pour convaincre même les islamistes de se ranger à ces arguments. Et c’est la condition de légitimité, dirons-nous, pour faire accepter des mesures de progrès comme l’égalité hommes – femmes ou l’abolition de la peine de mort par le plus large éventail de forces politiques. Ainsi le peuple tunisien suivra le chemin d’une Tunisie moderne.

Nous l’avouons, nous croyions les Tunisiens complaisants avec le régime Ben Ali au nom de la douceur de vivre et de la tranquillité qui régnait dans le pays pour les classes moyennes. La révolution est passée par là et les jeunes ont donné une bonne leçon de liberté à leurs aînés et au monde. Nous devons tous aider désormais la Tunisie à construire l’avenir qu’elle décidera de se donner !

Qu’espèrent les Tunisiens aujourd’hui ? Tous aspirent à la liberté dans l’ordre ! Un déploiement des libertés et de l’Etat de droit dans un ordre politique et sécuritaire à construire (autrement qu’avec des matraques et la terreur de l’ancienne police) qui garantisse le développement économique et la sûreté des biens et des personnes.

Tout un programme, un grand destin pour un grand peuple qu’« Opinion internationale » accompagnera en couvrant désormais l’actualité de la révolution du Jasmin.

Michel Taube


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