Edito
11H10 - vendredi 16 septembre 2011

Il y a 30 ans, la France abolissait la peine de mort. OI s’apprête à publier le tome 1 de l’anthologie complète de la peine de mort. Entretien avec l’historienne Armelle Cazeaud

 

Pourquoi vous être lancée dans cette Anthologie ?

J’ai commencé à travailler à cette anthologie il y a dix ans, à partir d’une idée de Michel Taube, à l’époque fondateur et président d’Ensemble Contre la Peine de Mort. Il souhaitait publier un article sur « littérature et peine  de mort ». J’ai pris comme point de départ des auteurs connus tels Hugo, Camus, Dumas, ainsi que des appareils critiques qui accompagnaient certaines éditions et des ouvrages spécialisés. L’association Ensemble Contre la Peine de Mort dont je fus membre pendant 7 ans en a publié, en 2006, de courts extraits. Mais aujourd’hui ce sont près de 200 textes qui sont réunis : nous avons là une histoire quasi complète du long cheminement de la pensée littéraire  vers l’abolition de la peine de mort en France.

Où avez-vous trouvé les textes ?

Il faut être un rat de bibliothèque pour réaliser ce travail ! J’ai beaucoup fréquenté la BNF ou la bibliothèque Sainte Geneviève, à Paris. Des rencontres avec des passionnés de littérature ou des militants de l’abolition, ainsi que les conseils avisés de bibliothécaires, de médiathèque et d’amis furent une aide précieuse. A l’image d’une pelote de laine qu’il faut démêler, un texte en appelle un autre, lui répond, renforce ou réfute ses arguments.

Comment la littérature s’est-elle emparée de la question de l’abolition ?

La littérature a progressivement investi cette question de façon militante, à partir du XVIIIème siècle. Mais j’ai choisi de commencer mes recherches à l’époque des Temps modernes. Il m’a paru nécessaire de décrire la réalité de la peine de mort et celle de ses supplices à partir du XIVème siècle afin de mieux comprendre les termes des débats et les interrogations de la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Certains textes nourrissent déjà une réflexion abolitionniste, même si elle n’en est qu’à ses prémices. Ainsi l’on dénonce, dès le XVème siècle, la disproportion entre le crime et le châtiment. C’est le cas de L’Utopie de Thomas More, dans laquelle l’auteur écrit que le vol puni de mort ne peut qu’inciter le voleur à commettre un meurtre. Mais si je ne devais retenir qu’un texte de cette période qui court du XIVème siècle au milieu du XVIIIème siècle, ce serait, outre celui de Thomas More, celui de Blaise Pascal. Dans le début de sa quatorzième lettre des Provinciales, Pascal  affirme que le droit de mettre à mort un homme ne relève que de la volonté divine qui s’exerce au travers du pouvoir politique. Sinon la peine de mort ne peut être légitime, car son application varie en fonction des passions humaines. Certes il ne s’agit pas là d’une condamnation absolue du châtiment suprême. Mais commence ici le long cheminement vers une restriction du champ d’application de la peine de mort jusqu’à son abolition définitive.

Avez-vous débusqué des perles rares, des auteurs peu connus ?

Il y a des auteurs peu connus,  tels Isabelle de Charrière, aristocrate néerlandaise, qui écrit en 1789, dans sa « sixième lettre d’un évêque français à la nation France » qu’elle condamne la peine de mort en raison du risque d’exécuter un innocent. Elle s’inscrit dans la même démarche que Loustalot, journaliste, ou Condorcet. Cela me paraît créer une rupture avec d’autres écrits qui s’engageaient davantage vers une réforme du code pénal, visant à réduire le champ d’application de cette peine.

D’autres auteurs du XIXème siècle méritent d’être connus tel Decomberousse qui écrit une pièce de théâtre sur l’abolition de la peine de mort en Toscane en 1786. C’est d’ailleurs la date de l’abolition définitive en Toscane, premier Etat souverain de l’histoire à avoir fait le pas. Charles Rabou ou Elisée Reclus, géographe anarchiste, ont aussi dénoncé la peine capitale de façon absolue. On peut d’ailleurs parler d’un envahissement du champ littéraire au XIXème siècle, qui fait suite aux excès de la Révolution française, au nom d’une nouvelle société à construire.

Quels arguments emploie la littérature pour dénoncer la peine de mort ?

Relevons d’abord que tous les genres littéraires sont utilisés : roman, mais aussi poème, pièce de théâtre, genre fantastique, témoignages ou récits journalistiques, textes parodiques ou textes relevant de l’absurde. Dès le début du XIXème siècle, on écrit à profusion contre la peine de mort et tous types d’arguments sont mis en avant.

Ainsi, plusieurs idées vont se développer au cours des siècles. Celle de l’innocence, évoquée par Isabelle de Charrière ou Condorcet, qui écrit même un  Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, me paraît un premier pas qui progressera au XIXème siècle vers le respect de la personne humaine. En appliquant la peine de mort, on ne défend plus la société, on commet un meurtre légal. Victor Hugo, dans Le dernier jour d’un condamné, construit ce texte, entre autres, sur ce principe. On ne sait rien de cet homme, surtout pas le crime dont il est accusé, simplement qu’il va mourir et que la société a décidé de le tuer de sang-froid.

Dostoïevski, lui-même victime d’un simulacre d’exécution étant jeune, écrit dans L’Idiot : « Non, on n’a pas le droit de traiter un homme ainsi. » Sade, dans La philosophie dans le boudoir prend lui aussi ce parti: « […] La loi qui attente à la vie d’un homme est impraticable, injuste et inadmissible. » Quant à Albert Camus, il qualifie la peine de mort de souillure dont la société a honte. Son père vomit après avoir assisté à une exécution qu’il pensait pourtant être juste.

Un argument se renforce, statistiques à l’appui, à partir du XIXème siècle : ce châtiment n’est pas dissuasif. Combien de criminels ont assisté à une exécution ? De plus, le spectacle de la mort nourrit la violence. Jules Valles, fervent abolitionniste, décrit les derniers jours de Lemaire, dans son journal Le Nain Jaune de mars 1867, en insistant sur l’appétit morbide des foules, montrant ainsi que la peine de mort ne peut dissuader, puisqu’elle est source d’exaltation. Balzac, au contraire, dans son roman  Le Curé de village qualifie « le dernier jour d’un condamné », de « sombre élégie, inutile plaidoyer contre la peine de mort, ce grand soutien des sociétés… ». Les écrivains abolitionnistes luttent toujours contre cette affirmation, qui ne peut être prouvée, selon laquelle la peine de mort serait un rempart contre le crime.

Au XIXème siècle, certains auteurs pensent que c’est en changeant la société que ce châtiment deviendra inutile. Cette opinion recouvre un large éventail politique. George Sand la défend dans sa correspondance. Victor Hugo en fait la démonstration dans Claude Gueux . De même dans Choses Vues, en 1847, lors de sa visite à Marquet, il décrit son humanité et sa volonté de rédemption. Marquet découvre dans le milieu carcéral certaines occupations qui auraient pu le transformer. C’est d’ailleurs un autre argument pour les abolitionnistes : il s’agit d’une peine irréparable.

D’autres auteurs comme Marcel Aymé condamnent la peine de mort parce qu’ils ne croient pas en la justice. Sur un mode humoristique, dans la pièce de théâtre : La tête des autres, il attaque férocement les procureurs.

La peine de mort est aussi une arme politique, bien évidemment pendant les révolutions, qui justifie ce châtiment pour préserver une société en construction. Or les écrivains abolitionnistes ont tous dénoncé cet argument. J’ajoute d’ailleurs que Victor Hugo et George Sand ont réclamé l’amnistie pour les communards.

La peine capitale fut aussi utilisée pour maintenir le système en place durant l’apartheid, ce dont témoigne André Brink ou Breyten Breytebach.

Le XXème siècle est également un siècle militant, où l’on peut être surpris que Prévert ait écrit un texte sur le sujet. Les romans policiers  français, américains sont aussi l’occasion de dénoncer cette peine. James Lee Burke le fait de façon inlassable. En revanche le thème de la peine de mort n’est parfois qu’un prétexte àl’intrigue. J’ai retenu  La tête d’un homme de George Simenon pour cette raison.

Tous les écrivains furent-ils abolitionnistes ?

Loin de là ! Tout d’abord, comme le défendait souvent Michel Taube lorsqu’il militait contre la peine de mort, on ne peut comprendre la spécificité de cette question si l’on ne mesure pas combien les plus humanistes des philosophes ont légitimé et défendu la peine de mort : Montesquieu, Spinoza, Rousseau, Kant, tous ont été « pro-peine de mort », au nom de leur double lutte contre leur principal ennemi : la rupture du contrat social dans l’ordre des idées, l’anarchie dans l’ordre de l’organisation des affaires humaines.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que les écrivains, les littéraires furent davantage en pointe et précurseurs de l’abolition que les philosophes. Plus proches des réalités et de la psychologie humaines (notamment celle des criminels et des acteurs de la justice), les écrivains ont peut-être senti plus humainement l’horreur de la peine capitale. Ainsi, ai-je constaté que les plus fervents abolitionnistes avaient assisté à des exécutions ou en avaient été des témoins indirects. A partir de cette expérience personnelle, ils ont su construire une éthique abolitionniste.

Cependant, il y eut de nombreux partisans de la peine de mort dans la littérature : Charles Baudelaire, en fut un, très virulent, dans son journal : Mon cœur mis à nu. Je me répète, mais Balzac était partisan de la peine de mort ! Stendhal aussi ! Même si on cite souvent Le Rouge et le Noir  pour dénoncer la peine de mort, il ne faut pas oublier que Julien Sorel reconnaît son crime, assume ce châtiment au nom de sa fierté d’âme et de sa recherche d’absolu.

Certains écrivains  ne furent pas fondamentalement abolitionnistes : c’est le cas d’Alexandre Dumas qui estime que les exécutions ne doivent pas être publiques et que, de plus, la peine de mort ne peut être supprimée tant que le degré de civilisation nécessaire à une société n’est pas atteint. Il soutiendra cette thèse lors de son séjour en Sicile, dans «  l’Indipendente », le journal qu’il fonde en 1860 à Palerme.

Au final, la littérature a-t-elle œuvré au combat pour l’abolition de la peine de mort ?

Oui ! Alors que nous commémorons cette année les 30 ans de l’abolition en France (rendons hommage à Robert Badinter qui a, avec François Mitterrand, asséné le coup de grâce à cette institution barbare en 1981), il faut rappeler et mesurer ô combien, pour en arriver là, il a fallu de combats, dont six débats parlementaires depuis la Révolution française. D’ailleurs de grands écrivains ont pris position lors de ces débats, Victor Hugo évidemment, Jean Jaurès, Lamartine. Les écrivains ont préparé le terrain, les esprits devrais-je dire. Ils ont utilisé la force de l’imaginaire pour convaincre. Leurs textes ont semé un doute fertile, ouvert la place nécessaire à une réflexion abolitionniste.

Je souhaite ajouter un dernier point : si cette anthologie se veut résolument militante et engagée, on y retrouve aussi des auteurs partisans de la peine de mort afin de mieux expliciter les enjeux du débat tels qu’ils se sont posés au fil du temps.

Je pense que tant que la peine de mort sévira dans le monde, on continuera d’écrire sur le sujet.

Armelle Cazeaud

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