Pacte de Tunisie des droits et libertés

Préambule :

A l’initiative de l’institut arabe des droits de l’Homme, avec le soutien de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH), du Syndicat des journalistes tunisiens (SNJT), de l’Ordre national des avocats tunisiens (ONAT), de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), et de nombreuses organisations de droits de l’Homme et de la société civile, le Pacte de Tunisie pour les droits et les libertés a été proclamé le mercredi 25 juillet 2012.

Ce document se veut une expression des aspirations du peuple tunisien. Ce peuple qui, après avoir renversé le despotisme, œuvre aujourd’hui à construire une démocratie garante de la liberté de tous.

Signer ce texte c’est s’engager à soutenir les démarches qui œuvrent à consacrer les droits et libertés, dont il est question, dans la constitution tunisienne ; c’est s’engager du même geste à les défendre contre toutes les atteintes et  à les diffuser.

Pourquoi je signe le Pacte de Tunisie pour les droits et les libertés ?

La rupture avec le despotisme opérée par la révolution tunisienne a ouvert notre histoire sur de nouveaux possibles : la liberté, la dignité, l’égalité et la justice. Il s’agit d’en finir avec les souffrances du passé, la dignité humaine bafouée, la marginalisation et l’exclusion, la limitation des libertés individuelles et collectives et la violation du droit à la participation démocratique et à la justice sociale.

L’élimination du système despotique et de la corruption est un processus de longue haleine. Il suppose la constitutionnalisation d’un corpus des droits et des libertés inscrit dans les lois, entourées de garanties et d’institutions permettant de les rendre effectifs.

Les droits et les libertés demeureront fragiles tant qu’ils ne seront pas traduits en un programme d’action qui soit le socle de la société démocratique, une société respectueuse du pluralisme, du droit à la différence, récusant la violence, la discrimination et l’exclusion.

Les droits et les libertés seront toujours menacés s’ils ne sont pas considérés comme le dénominateur commun qui fonde le contrat social et le vivre ensemble.

Ce Pacte, nous l’avons conçu comme un compromis entre les acquis universels en matière de droits de l’Homme et de libertés, les traditions civiles du peuple tunisien et le patrimoine culturel, religieux, constitutionnel, juridique qu’il a accumulé. Ces traditions et ce patrimoine rivés, depuis des générations, sur le rêve d’une société libre, tolérante et égalitaire.

Par ce Pacte, nous voulons :

  • Affirmer que la protection des droits et des libertés, qui y sont proclamés, est un espace partagé où s’épanouit la citoyenneté et s’affirme l’appartenance à la communauté des peuples épris de libertés.
  • Affirmer que la promotion des droits et des libertés est un choix patriotique, pour nous comme pour les générations futures. C’est également une méthode pour la construction de la société démocratique nouvelle.

Ce Pacte, nous l’avons voulu comme un processus de protection des libertés et des droits proclamés, et de rupture irréversible avec le despotisme.

Nous, signataires du présent Pacte, déclarons nous engager :

1)      A ce que ce Pacte soit une référence des valeurs qui nous unissent, une plateforme des principes qui guident nos réformes constitutionnelles et juridiques, nos choix politiques, économiques et culturels ; un moyen performant pour développer nos politiques et comportements démocratiques et libérer les discours culturels et éducatifs.

2)      A faire en sorte que les droits de l’Homme et les libertés deviennent une responsabilité collective qui nous prémunisse contre les atteintes à la dignité humaine, contre les abus de pouvoir, la corruption, la monopolisation de la décision, contre la violence, l’exclusion et la paupérisation.

3)      A être solidaire dans la protection des droits de la citoyenne et du citoyen sans distinction, et à entretenir une dynamique civile qui puisse assurer une égale dignité pour tou(te)s les Tunisien-ne-s.

Nous, Tunisiennes et Tunisiens, déclarons être liés par ce Pacte des droits et des libertés et engagés à  défendre ces principes et à les diffuser.

 

Le texte du Pacte

Nous, citoyennes et citoyens de Tunisie,

Considérant que :

La Tunisie est profondément imprégnée d’une culture et de traditions juridiques et constitutionnelles encrées de longue date dans le patrimoine des valeurs religieuses et de civilisation, pétries de modération et de tolérance, récusant la violence, le fanatisme, la discrimination et la haine.

Après avoir très tôt aboli l’esclavage, puis résisté au colonialisme, notre pays est devenu le terreau d’un mouvement syndical et de mouvements pionniers  de défense des droits de l’Homme; il  n’a cessé de soutenir le droit des peuples à l’autodétermination et à la liberté. Le peuple tunisien est depuis des générations désireux de s’ouvrir sur le savoir, les arts et les cultures des autres peuples.

La révolution du peuple tunisien est survenue pour mettre un terme au système despotique qui a foulé aux pieds la dignité humaine, entravé tout développement équitable et n’a cessé de porter atteinte aux valeurs d’égalité, de justice et de liberté.

La Tunisie a ouvert à tous les peuples de la région la voie d’accès au patrimoine universel des libertés leur permettant d’apporter leur contribution spécifique faite de tolérance et d’ouverture aux acquis de l’humanité dans tous les domaines du savoir et de la science, des arts et des lettres.

Les principes de justice, de dignité et d’égalité portés par la révolution sont ceux-là mêmes qui doivent guider le processus de transition démocratique et de consécration de la citoyenneté, de la liberté, de la participation démocratique ; de rompre ainsi avec le passé despotique et de rendre effectives la souveraineté de la loi, la justice transitionnelle et  l’indépendance de la justice.

La révolution civile des Tunisiennes et des Tunisiens a constitué un moment de communion dans la dignité individuelle et collective, de dépassement du régionalisme, du tribalisme, des particularismes communautaires et catégoriels  ainsi que du sexisme.

Par ce Pacte de Tunisie des droits et des libertés, nous affirmons ce qui suit :

  • Les droits de l’homme constituent une responsabilité collective engageant la famille, les institutions officielles, les groupements politiques, les organisations de la société civile, le secteur privé ainsi que les individus à œuvrer en vue de l’émancipation commune de la peur et de la misère, de la construction de la paix et de la concorde, de la justice sociale et l’édification du régime démocratique et participatif.
  • Le respect et la promotion des droits de l’Homme doivent profiter à tous les citoyen-ne-s sans distinctions de « race », de couleur, d’origine, d’appartenance sociale, d’opinions, de croyance ou d’orientation. Une attention particulière doit être portée, dans ce cadre, aux droits des femmes, des enfants, des personnes âgées, des jeunes, des personnes handicapées, des pauvres et des couches marginalisées par le passé, au présent et à l’avenir.
  • Les droits de l’Homme constituent une entité, cohérente, indivisible et inaliénable.  Au fondement des régimes politiques, ils sont également l’horizon des programmes de développement, des politiques économiques, sociales et de coopération internationale.
  • L’objectif ultime des droits de l’Homme est de protéger les libertés individuelles, de garantir la pleine citoyenneté et l’intégration de chacun.

Forts de ces principes, nous nous engageons à défendre et à diffuser ces droits.

Article premier : Le droit à une vie digne

Toute personne a droit  à une vie digne et à la subsistance dans la dignité, en conformité avec ce qui est autorisé et protégé par la loi et ce dont elle garantit la jouissance totale.

Ce droit comporte :

–        Le droit à une identité pour toute personne quelles que soient ses conditions et son origine.

–        Le droit à la nationalité et à la personnalité juridique et tous les autres droits qui en découlent.

–        Le droit de ne pas être soumis aux sévices, aux mauvais traitements, aux châtiments inhumains ou attentatoires à la dignité.

–        Le droit pour toute personne de ne pas être soumise à des expériences médicales ou scientifiques sans son libre consentement.

–        Le droit de ne pas être asservi, ce qui suppose l’interdiction de l’esclavage et des différentes formes de traite humaine.

–        L’abolition de la peine de mort.

Article 2 : Le droit à la protection et à la sûreté

Le droit à la protection et à la sûreté constitue une des conditions de la démocratie et du développement, la liberté étant la règle et sa limitation une exception dictée par les nécessités de la société démocratique, conformément aux principes de proportionnalité.

Ce droit comporte :

–        Le droit à la liberté : nul ne peut être détenu, arrêté, enfermé ou banni arbitrairement. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des raisons prévues par la loi et conformément aux procédures décidées à cet effet, dans le respect des droits de chacun.

–        Le droit à la sûreté de chacun quant à sa personne, à sa religion, à la protection des siens, de son honneur, de ses biens et de sa patrie.

–        Le droit au respect de l’intégrité physique, morale et sexuelle des citoyennes et à la protection contre toute forme de violence.

–        Le droit à la protection juridique et judiciaire sans dissémination ethnique, sexuelle, religieuse, de naissance, d’origine, de langue, de couleur, d’appartenance intellectuelle, politique, sociale ou juridique ou en raison d’un handicap.

–        Le droit à un procès équitable : aucune sanction n’est affligée sans texte de loi ; toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité soit établie et que les conditions juridiques, de se défendre devant une justice indépendante, lui soient garanties.

–        Le droit à la protection des affaires privées : le logement, la famille, les biens, les relations ainsi que les données personnelles de chacun. Tout espionnage, tout contrôle et toute atteinte à la réputation d’une citoyenne doivent être bannis.

–        L’inviolabilité du logement doit être garantie dans tous les cas. Il est interdit d’entrer illégalement dans une habitation, de la détruire, de la confisquer ou de déloger les habitants.

–        Les réfugiés, les migrants et les étrangers ont droit à la protection,  à la sûreté et à bénéficier des droits de l’Homme sans discrimination.

Article 3 : Le droit au libre choix

Toute personne a le droit de gérer ses affaires privées en toute liberté.

Ce droit comporte :

–        Le droit de choisir librement son conjoint de former une famille conformément aux lois en vigueur et déterminer le nombre de ses membres.

–        Le droit de choisir son patronyme.

–        Le droit de choisir le lieu d’habitation.

–        Le droit de circuler librement à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

–        Le droit de choisir sa tenue vestimentaire et son apparence.

–        Le droit à la liberté d’opinion et d’expression, au choix et à l’adoption de croyances intellectuelles, politiques et religieuses ainsi qu’à la liberté de culte.

–        Le droit à la différence.

Article 4 : Le droit à l’égalité et à la non-discrimination

L’égalité, pilier de la citoyenneté, assure à toute personne la jouissance des droits et libertés consacrés dans la Constitution, de même qu’elle est garante de la non-discrimination entre les citoyennes dans l’accomplissement de leurs devoirs.

Cela suppose :

–        Le droit d’être protégé contre toute discrimination, exclusion, marginalisation, éloignement, restriction ou stigmatisation en raison du sexe, de la couleur, de l’appartenance ethnique ou religieuse, des conditions de naissance ou d’origine, en raison de la langue ou de l’appartenance intellectuelle, politique, sociale ou juridique.

–        Le droit des femmes à la protection contre les violences dans les différents espaces, contre le harcèlement sexuel dans les lieux de travail ou d’études.

Les lois interdisent les différentes formes de discriminations qu’elles proviennent des autorités publiques, institutions officiels ou non-officiels, de groupes ou d’individus.

Article 5 : Le droit à la citoyenneté et à la participation

La souveraineté du peuple suppose la rupture avec la logique du maître et du sujet et l’accès de tous à une citoyenneté effective seule à même de réaliser la démocratie participative.

Cela nécessite la reconnaissance pour chacun :

–        Du droit à l’élection et au choix de ses représentants aux échelons local, régional, et central.

–        Du droit de se porter candidat à l’exercice des responsabilités politiques et à représenter le pays à l’extérieur.

–        Du droit de participation à élaborer des politiques publiques et à la gestion  démocratique, aux échelons local, régional et central.

–        Du droit d’organisations au sein de partis politiques, d’associations ou de syndicats.

–        Du droit d’exprimer son opinion et ses propositions, de contrôler les choix politiques et de demander des comptes aux responsables.

–        Du droit de participer à l’élaboration du modèle de développement aux échelons local, régional et central.

–        Du droit de protestation par tous les moyens pacifiques, y compris par le rassemblement.

Article 6 : Le droit au développement humain

Ce droit repose sur la reconnaissance des droits économiques et sociaux, en tant que droits de l’Homme qui permettent de concilier croissance économique et évolution sociale et assurer l’équilibre entre les régions, les couches sociales et les générations.

Ces droits sont les suivants :

–        Le droit à un travail décent, à des conditions de travail garantissant la dignité humaine et à la promotion dans l’échelle sociale.

–        Le droit à l’égalité des chances et à l’égal accès des femmes et des hommes à toute fonction.

–        Le droit à une vie digne qui assure à chacun un logement décent, une nourriture équilibrée, l’habillement et les soins.

–        Le droit syndical et le droit de grève.

–        Le droit à la santé et à la couverture sociale.

–        Des droits spécifiques pour les femmes eu égard à leur rôle dans la procréation, ainsi que des droits liés à la fonction parentale de protection et d’éducation des enfants.

–        Le droit à la justice fiscale.

Article 7 : Les droits intellectuels, culturels et de création

Les droits culturels et de création sont à la base du développement. Ils constituent un enjeu majeur de diffusion de la culture des droits de l’homme pour tous.

Ces droits sont les suivants :

–        Le droit à la création sous toutes ses formes, à la liberté de diffusion des œuvres sans entraves ni discrimination.

–        Le droit pour tous à la culture, conçue comme un service public.

–        La protection des droits d’auteur, de la propriété intellectuelle et artistique, du patrimoine culturel sous toutes ses formes.

–        Le droit à la liberté de pensée et de création et la protection des créateurs et des penseurs contre toutes les contraintes.

–        Le droit pour chacun de pratiquer le sport de son choix sans discrimination et d’accéder sans entraves aux différentes formes de divertissement.

–        Le droit d’accéder à l’information et au savoir en général.

L’Etat et les institutions de la société civile sont appelés à développer ces droits comme autant de  droits de l’Homme.

Article 8 : Le droit à un environnement sain et équilibré

Les générations futures ont le droit de jouir d’un environnement sain et équilibré. Ce droit fait partie des droits de solidarité qui incombent à tous et qui supposent  la mobilisation des moyens de l’Etat mais également le concours  des organisations économiques publiques et privées, des associations de la société civile et l’effort de tous les citoyennes.

Ce droit se décompose ainsi :

–        Le droit au développement durable.

–        La reconnaissance du droit à un environnement sain et équilibré.

–        Le droit d’accéder aux informations concernant l’environnement.

–        Le droit de participer au choix des politiques environnementales.

–        Le droit de profiter des ressources du pays, de préserver les sites archéologiques et de protéger la souveraineté du pays sur ses richesses naturelles.

–        Le droit à une organisation juste et rationnelle du territoire.

–        Le droit de recourir à la justice en cas d’atteinte aux droits environnementaux, qui participent de la sécurité humaine.

Article 9 : Les garanties

Afin de rendre effectifs les droits et les libertés inscrits dans ce Pacte, et d’en garantir l’exercice pour toutes les citoyennes et tous les citoyens, il est impératif de :

1)      Considérer les textes internationaux de références en matière des droits de l’Homme, auxquels les peuples du monde entier ont contribué et qu’ils ont choisi d’un commun accord, comme la garantie fondamentale de la protection de la personne humaine et de sa dignité.

2)      Affirmer que les conventions internationales des droits de l’Homme sont supérieures aux lois internes dès lors qu’elles sont ratifiées.

3)      L’Etat se doit de prendre les mesures nécessaires afin d’interpréter toutes les dispositions constitutionnelles relatifs aux droits de l’Homme et aux libertés publiques et privées en se référant à la Déclaration universelles des droits de l’Homme et aux conventions internationales se rapportant aux mêmes questions ratifiées par l’Etat tunisien.

4)      Mettre en place les organismes constitutionnels à même de garantir et de protéger les droits de l’Homme.

5)      Permettre aux organisations de la société civile ainsi qu’à tou(te)s les citoyen(ne)s de recourir à la justice Lafin de protéger leurs droits.

6)      Assurer la protection des défenseur(e)s des droits de l’Homme et garantir leur droit d’accéder aux informations, de critiquer les politiques publiques et de proposer des politiques alternatives.

7)      Considérer l’intérêt supérieur de l’enfant comme une priorité.

8)      L’Etat se doit de prendre les mesures politiques permettant aux personnes handicapées de jouir du développement humain y compris l’accès à l’emploi ; de créer une caisse publique destinée à garantir une vie digne aux chômeurs, aux handicapés, aux démunis et aux couches marginalisées.

9)      Les mesures légales institutionnelles et autres prises à titre provisoire afin de consolider et de protéger les droits des femmes, des enfants, des jeunes, des personnes âgées, refugiées, handicapées ou marginalisées, ne sauraient être considérés comme une discrimination dans la mesure où elles visent à l’égalité effective entre tous, à l’intégration sociale et à la lutte contre l’exclusion et la marginalisation.