Droits pratiques
16H59 - jeudi 14 janvier 2016

Secret professionnel et signalement de la radicalisation

 

Alors que la détection de la radicalisation fait l’objet de plusieurs initiatives publiques relayées par une abondante communication, la loi interdit aux professionnels astreints au secret d’effectuer un signalement hors champ de la protection de l’enfance et de l’assistance à personne en péril.

Le ministère de l’Intérieur a mis en place un formulaire en ligne pour permettre aux proches, en particulier les membres de la famille, de signaler « une situation inquiétante »  (formulation qui rappelle les « informations préoccupantes » relatives à la protection de l’enfance). Par ailleurs, et comme en matière de protection de l’enfance, a été mis en place un numéro vert : 0 800 005 696 (du lundi au vendredi, de 9h à 18h) visant à joindre le Centre National d’Assistance et de Prévention de la Radicalisation (CNAPR). Ce numéro est destiné tant aux proches qu’aux « acteurs institutionnels », mais son utilisation s’avère délicate lorsque lesdits acteurs sont astreints au secret professionnel.

Le Conseil National de l’Ordre des Médecins a édité une plaquette informative dont le volet consacré au secret professionnel et à sa levée peut s’appliquer à l’identique à d’autres professionnels astreints au secret. Il y est fait référence à une seule possibilité de lever ledit secret : l’information préoccupante concernant un mineur en « risque de danger ». Pour le reste, le document se contente de reprendre le « Référentiel interministériel des indicateurs de basculement dans la radicalisation » et d’indiquer au médecin qui « reçoit des confidences d’un patient qui a un lien familial ou est proche d’une personne en voie radicalisation ou radicalisée » qu’il peut conseiller à ce patient ou à ce proche de se rapprocher du CNAPR ».

Cette frilosité peut surprendre, et rappelle à certains égards celle des médecins allemands (dont les médecins du travail) qui n’avaient pas signalé la santé mentale du pilote qui allait précipiter un Airbus contre une montagne, tuant 150 personnes. Interrogés sur ce fait durant une conférence de presse, les dirigeants de la compagnie aérienne Lufthansa s’étaient abrités derrière le secret médical pour justifier ce mutisme.

Tout comme le médecin, tout professionnel astreint au secret et confronté à une situation de radicalisation, ne pourra effectuer un signalement que si le danger apparaît imminent et avéré, sur le fondement de l’assistance à personne en péril visée à l’article 223-6 du Code pénal, ou s’il a de bonnes raisons de penser qu’un mineur en est victime.

Article 223-6 du Code pénal :
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

Peut-on considérer que des signes évidents de radicalisation relèvent d’un péril justifiant un signalement ? Dans un arrêt du 13 janvier 1955, la Cour de cassation jugea que « l’obligation de porter secours concerne seulement le cas de personnes se trouvant en état de péril imminent et constant, et nécessitant une intervention immédiate ». Dans un arrêt du 3 février 1977, la Cour d’appel de Poitiers jugeait que « le péril ne doit pas être présumé, mais constaté». Cette jurisprudence n’a pas fondamentalement évolué au cours des dernières années, malgré quelques condamnations pour des faits relevant parfois de plusieurs infractions (refus de soin pour un médecin, délit de fuite pour un automobiliste…).

La loi prévoit toutefois une autre hypothèse de signalement, dont l’opportunité est appréciée par le professionnel astreint au secret : il peut signaler un individu dangereux qui possède une arme ou a l’intention d’en acquérir une, comme en dispose l’article 226-14 du Code pénal :

Article 226-14 du Code pénal :
L’article 226-13 (qui sanctionne la violation du secret professionnel) n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :
…. /….
3° Aux professionnels de la santé ou de l’action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une.

Il n’est pas impossible que la loi évolue afin de mettre les professionnels concernés à l’abri de poursuites pour violation du secret en cas de signalement d’une situation de radicalisation. On ne saurait même exclure qu’en cette matière, l’on passe d’une obligation de se taire à une obligation de révéler. En décembre 2013, le législateur avait considéré que la lutte contre la fraude fiscale était une cause suffisamment grave pour obliger les banquiers, les avocats, les experts-comptables, les notaires, les assureurs… à dénoncer leurs clients fraudeurs. Une loi similaire peut-elle être envisagée pour obliger le signalement de la radicalisation ? La juste réponse ne peut résulter que d’un débat, d’un échange d’arguments techniques et objectifs.

Sans aller jusqu’à rendre le signalement obligatoire, il parait aujourd’hui difficilement soutenable de faire peser sur les professionnels de santé et de l’action sociale, et au-delà sur tous les intervenants astreints au secret professionnel, le risque de poursuites pénales pour avoir tiré la sonnette d’alarme, quand on connait les effets de la radicalisation sur le tissu social et la laïcité, sans même évoquer le terrorisme dont il est l’émanation la plus ignoble.

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique