Opinion Amériques Latines
15H18 - samedi 3 octobre 2015

Arraigo, torturée en toute impunité : le regard d’une BD en noir et blanc

 

Arraigo, Torturée en toute impunité livre aux lecteurs une histoire vraie, tristement symptomatique des dommages collatéraux engendrés par la guerre entre les forces de l’ordre (police et armée mexicaines) et les narcotrafiquants. L’histoire de Miriam Isaura Lopez Vargas cache les récits d’autres victimes terrifiées au point de préférer garder le secret.

 

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Si le scénario n’est aucunement inventé, les prouesses résident bel et bien dans le récit de cette histoire par le biais du dessin. En effet, c’est à travers le prisme de la bande-dessinée en noir et blanc que Georges Van Linthout et Benjamin Fisher ont pris le parti de raconter cette histoire si personnelle et à la fois révélatrice et commune des méthodes qui gangrènent actuellement le Mexique. Sans bons sentiments et avec justesse, la bande-dessinée offre aux lecteurs de (presque) tous les âges une autre manière d’aborder un sujet sérieux.

Une histoire vraie

Le 2 février 2011, lorsque deux hommes surgissent de leur véhicule et se dirigent vers elle, Miriam Isaura Lopez Vargas, épouse de 30 ans et mère de quatre enfants, ne comprend pas immédiatement ce qui est en train de se dérouler sous ses yeux. Résidente d’Ensanada, grande ville de l’état de la Basse-Californie au Mexique, la jeune femme est prise pour cible. Les choses vont très vite et elle se retrouve tout à coup extraite de sa voiture aux mains de ces hommes qui, pense-t-elle, sont en train de la kidnapper. En quelques instants, la vie de Miriam bascule. Alors qu’elle venait de déposer ses enfants à l’école, elle est conduite, les yeux bandés, vers une destination inconnue. Pendant une semaine, cette dernière vivra les pires moments de sa vie : coups, torture et viol à répétition par ses geôliers.

Sous la menace de s’en prendre à ses enfants et à son mari, les ravisseurs qui se révèlent être des militaires mexicains lui feront signer des aveux concernant un trafic de Marijuana, six mois d’incarcération s’en suivront au pénitencier de Mexico puis à celui d’Ensanada. Les charges pesant sur elle seront abandonnées par le juge fédéral pour défaut de preuves, mettant fin à sa détention arbitraire (arraigo) le 2 septembre 2011.

Miriam trouvera le courage de dénoncer les mauvais traitements subis avec le concours de son avocate Silvia Vasquez, au service de la CMDPDH (Commission mexicaine de Défense et de Promotion des Droits Humains). A ce jour ses agresseurs n’ont toujours pas été inquiétés. La plainte déposée a été classée sans suite deux ans plus tard.

Le combat du Mexique contre les narcotrafiquants

Le trafic de la drogue a commencé à toucher le Mexique dans les années 1990, depuis la guerre entre les cartels a pris une nouvelle dimension en y incluant la police puis l’armée nationale. Le phénomène est devenu suffisamment grave pour être depuis une dizaine d’années l’objet des campagnes et des promesses présidentielles.

Ainsi en 2006, Felipe Calderon, fraîchement élu à la tête du pays, charge l’armée, selon lui exempte de toute corruption, de combattre les cartels. Des soldats sont envoyés au nord du pays, à la frontière américaine, point stratégique du trafic. Toutefois les efforts sont vains et les conséquences graves : entre 2006 et 2012 entre 50 000 et 120 000 personnes auraient été abattues dans la cadre de la lutte contre le trafic. Aux assassinats s’ajoutent les disparitions forcées, les détentions arbitraires instaurant un climat de violence et de répression au sein du pays.

Enrique Pena Nieto, qui succède à Felipe Calderon à la présidence en 2012, adopte une stratégie différente de celle de l’ancien président en matière de lutte contre le trafic de drogue. Nieto n’entend pas débarrasser son pays de la drogue par la force mais pas l’éducation de la jeunesse mexicaine. A cela s’ajoute des politiques sociales qui viendraient en aide aux plus pauvres et leur éviteraient de recourir au trafic. Toutefois, les cartels de la drogue bien implantés, demeurent difficiles à abattre, en dépit de la grande victoire de l’administration Nieto : l’arrestation de Joaquin Guzman dit « El chapo » chef du cartel de Sinaloa, en février 2014.

 

Benjamin Fischer :

Benjamin Fischer est né en 1982 à Verviers. Il vit une enfance heureuse en région liégeoise avec ses parents, des artistes de cirque d’origine bulgare. D’abord voué à une carrière de clown-acrobate, il décide finalement de quitter le chapiteau familial le jour de ses 16 ans. Pendant plusieurs années, il erre ainsi sur les routes d’Europe, allant de petits boulots en petits boulots avec pour seul compagnon un harmonica. Il sera tour à tour chauffeur poids-lourd en Pologne, garçon de ferme dans le Sud de l’Italie et serveur dans un bar à strip-tease de Barcelone. Aujourd’hui fixé en Belgique, il travaille actuellement sur plusieurs projets de scénario de BD et de courts-métrages.Il publie en 2010 Braquages & Bras Cassés avec Georges Van Linthout, à La Boîte à Bulles puis début 2015, La Cabane, dessiné par Stibane. Il se ré-associe de nouveau à Georges Van Linthout en 2015 avec Arraigo, un album édité par La Boîte à Bulles, en partenariat avec Amnesty International.

Georges Van Linthout :

Georges Van Linthout est né près de Liège en 1958. Il commence son parcours de dessinateur BD dans le journal « Spirou » au début des années 80 puis chez « Tintin » où il développe la série Lou Smog, en 1985. En plus de ses différentes séries (Falkenberg, Les Enquêtes de Scapola, Caméra Café…) Georges Van Linthout a réalisé plusieurs one shot où se rejoignent ses passions pour le polar, le noir et blanc et la musique rock (notamment Gene Vincent – Une légende du rock’n’roll en 2007 et Sur les quais en 2008, deux albums scénarisés par Rodolphe, ou encore Braquages & Bras Cassés, avec Benjamin Fischer publié par La Boîte à Bulles…). En 2015, il se ré-associe de nouveau à Benjamin Fischer pour Arraigo, un album édité par La Boîte à Bulles, en partenariat avec Amnesty International.

 

ARRAIGO_CV

Arraigo, Torturée en toute impunité est sortie en septembre 2015
La BD est co-publiée par Amnesty international et La Boite à bulles
Dessin : Georges Van Linthout
Scenario : Benjamin Fisher

Journaliste