International
10H34 - mercredi 26 août 2015

Entretien avec M. Vishnu Lutchmeenaraidoo, ministre des Finances de l’île Maurice

 

En déplacement en France du 22 au 26 Juin, le ministre des Finances et du Développement économique de la République de Maurice, Vishnu Lutchmeenaraidoo, a inauguré à Paris le Bureau du « Board of Investment » (l’organisme en charge de la promotion des investissements à l’île Maurice) au sein même de l’Ambassade et a signé une convention multilatérale sur l’assistance administrative réciproque en matière fiscale de l’OCDE.
Par ailleurs, le 24 octobre 2014, l’île Maurice avait été déjà l’un des tout premiers pays à signer l’accord multilatéral sur l’échange automatique de données fiscales, prévu à l’Article 6 de la convention. Il entrera en vigueur à partir de 2017.
Vishnu Lutchmeenaraidoo, déjà ministre des Finances entre 1983 et 1991, a activement participé au « miracle économique » du pays à cette période. Il est de retour aux affaires depuis le début 2015. Dans un entretien avec Opinion Internationale, le ministre nous a confié les grands axes de sa stratégie de développement : faire de l’île Maurice un « hub régional » en matière de « transbordement, d’investissement dans les pays africains et d’investissement dans l’exploitation rationnelle de l’océan ».
Vishnu Lutchmeenaraidoo dénonce également, dans des termes peu diplomatiques, la décision de la Commission Européenne qui a inscrit son pays sur la « liste Moscovici » des paradis fiscaux.
Entretien.

Vishnu Lutchmeenaraidoo - crédit : www.ledefimedia.info

Vishnu Lutchmeenaraidoo – crédit : www.ledefimedia.info

Le rêve Mauricien passe-t-il par Paris et la France ?

Mon rapport à la France est basé une forte émotion personnelle : je suis très attaché à la France et vous savez que la République de Maurice est très active dans la Francophonie. Lorsqu’on m’a demandé où il fallait ouvrir le premier bureau du « Board of Investment », j’ai répondu Paris. Les Français sont de loin le premier contingent de touristes à Maurice. La France est aussi la première source d’investissement direct à l’étranger et la deuxième ou troisième source en termes d’échanges.

L’économie mauricienne stagne depuis quelques années. Vous êtes très offensif pour inciter les investisseurs internationaux à revenir à Maurice ?

Nous installons des hubs d’investissements à Maurice, sortes de super-zones franches exemptées de tous droits et de toutes taxes pendant dix ans. C’est le prix de la reprise de la croissance. Nous faisons de même dans des projets à Accra au Ghana, à Madagascar et au Sénégal pour consolider cette idée de « hub africain ».

Que pensez-vous du classement de l’île Maurice sur la « liste Moscovici » ? [Cette liste, établie par la Commission Européenne, répertorie les pays jugés comme des paradis fiscaux « non coopératifs» par des Etats membres de l’Union Européenne]

C’est une insulte suprême. Je n’ai jamais vu une bourde aussi immense et Bruxelles doit corriger l’erreur qui a été faite. En effet, nous venons de signer avec l’OCDE un accord de transmission automatique des données qui nous place parmi les premiers à prendre de tels engagements de transparence.

La décision est choquante. La procédure l’est tout autant. Pour nous mettre sur cette « liste noire », dix pays devaient voter en ce sens. Or seuls neuf pays l’ont fait. De ces neuf pays, aucun ne nous a demandé des renseignements d’échanges d’informations. Je suis donc perplexe car comment se fait-il que des pays qui n’ont jamais fait de demande d’échanges d’informations puissent affirmer que nous refusons de coopérer. Troisièmement, l’un des pays qui nous a mis sur la liste noire est, lui même, sur la liste noire de l’OCDE et a refusé de signer les premiers accords. Je suis perplexe à l’idée qu’un pays qui a refusé de collaborer puisse décider que l’île Maurice est coupable. Nous avons donc demandé à Bruxelles de corriger cette injustice.

Plusieurs ministres des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, réunis à Bruxelles du 24 au 26 juin, ont demandé à l’Union Européenne de retirer de la liste plusieurs pays de la zone ACP dont l’île Maurice qui, j’insiste, respecte les normes et les règles de conformité de l’OCDE en terme de coopération fiscale.

Le réchauffement climatique est-il mauvais pour les affaires à l’île Maurice ?

Absolument. L’ « île Durable », voilà les deux mots clés pour définir notre stratégie en matière de protection de l’environnement. Je suis obsédé par l’environnement, les 13 « smart cities » qui sont actuellement en voie de création ont toutes comme condition de base un respect total de l’environnement.

J’ai visité personnellement chaque projet de « smart city ». Lors d’une de ces visites, j’ai obligé les promoteurs immobiliers à modifier leur projet de construction près d’une rivière et à faire remonter de quinze mètres en arrière la ligne de construction, ce qui n’a bien sûr pas plu du tout aux promoteurs. Tous ces projets sont donc en train d’incorporer des éléments de protection de l’environnement.

Le problème est que je peux tuer tous les rats dans ma cour, mais si mes voisins ont des rats, je suis toujours menacé. L’environnement n’est donc pas l’affaire d’un seul pays mais de toute la planète. Pour sauver la planète, il faut que chacun s’y mette. Nous oublions qu’une goutte d’essence a pris treize millions d’années pour devenir essence. Nous sommes en train de violer la terre pour sortir des ressources qui ne sont pas infinies.

Pour l’île Maurice, la protection de l’environnement passe par les énergies renouvelables. Toutes ces « smart cities » sont obligées d’avoir une production d’énergies renouvelables pour s’alimenter en électricité. L’environnement doit rester au cœur de notre développement.

Est-ce important qu’une femme soit à la tête de la République ?


C’est très important. D’autant plus qu’elle est une femme musulmane, issue d’une minorité qui demande à s’épanouir comme tout le monde. Cela dépasse donc l’acte symbolique.

En un mot, quel est le modèle politique social du pays ?

J’ai une formation de gauche, j’ai toujours pensé qu’il était impossible de concevoir le développement à long terme si le soubassement social était menacé. C’est la paix sociale qui est le fondement nécessaire au développement. Dès notre arrivée aux affaires en décembre dernier, nous avons augmenté de 40% les pensions. Nous avons créé un pouvoir d’achat pour ceux qui sont en bas de l’échelle. La compensation contre la perte due à l’inflation a été doublée.

Autre point clé, nous avons engagé une politique de « grand nettoyage » : la capacité à faire du « business » avec un pays est étroitement liée à son taux de corruption. Plus un pays est corrompu, plus il est difficile pour les entreprises étrangères d’investir. Nous sommes donc en train de rendre l’espace économique beaucoup plus sain. Je suis également contre les jeux de hasard. Lors du vote du dernier budget de la République, j’ai presque tué le secteur du jeu. Je pense qu’il est difficile de prôner le travail, l’effort, la discipline et en même temps faire croire aux gens que l’argent est facile à gagner.

Est-ce une politique de droite, de gauche ou du centre ? Je ne sais pas, mais c’est une politique portée sur l’humain.

Propos recueillis par Jean Darrason et Michel Taube

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