International
18H37 - lundi 20 avril 2015

Lutter contre la radicalisation : le point de vue canadien

 

 

« Les attentats de Paris et d’Ottawa ont été commis par des Canadiens et des Français ». Par ces mots, Lawrence Cannon, Ambassadeur du Canada en France, résume le nouveau paradigme dans lequel naviguent nos sociétés face à la radicalisation et aux effets de la progression fulgurante de Daech au Moyen-Orient. Marine Le Pen a bien tort d’affirmer que « les djihadistes ne poussent pas dans les prairies normandes » : au Canada comme en France, toutes les personnes qui plongent dans une idéologie radicale ne sortent pas des banlieues sensibles et ont parfois grandi dans un environnement stable…

Comment les Canadiens abordent-ils cette nouvelle donne à la fois géopolitique et intérieure ? Comment trouvent-ils des réponses au phénomène de radicalisation sans nourrir les tensions entre les communautés ethniques et religieuses ? Une conférence tenue le 9 avril au Centre culturel canadien de Paris, et réunissant des décideurs des deux rives de l’Atlantique, a permis de pointer de fortes convergences et quelques nuances d’approche…

 

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Tandis qu’en France, le gouvernement de Manuel Valls est à la manœuvre depuis les attentats de janvier, au Canada aussi, des mesures nouvelles se mettent en place : à Montréal, un Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence va ouvrir fin mai avec un numéro vert associé pour les proches des personnes en voie de radicalisation.

 

Choisir les bons mots

 « Nous ne voulons pas stigmatiser une population, alors nous ne parlons pas de radicalisation djihadiste », précise Knanh Du Dinh, responsable de l’implantation de ce Centre. Hakim Bellal, qui coordonne le programme de sensibilisation au sein de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), organisme notamment en charge de lutter contre la radicalisation, propose une approche qui se veut positive et introduit le terme de « désengagement » au lieu de « déradicalisation ». Ce concept permettrait une prise en charge plus globale et humaine, dans laquelle la communauté jouera un rôle important afin d’offrir aux personnes en proie aux idées radicales une alternative réelle et une chance de réinsertion.

 

Prévenir avant qu’il ne soit trop tard…

Comme le suggère la création du Centre de prévention de Montréal, la politique canadienne en matière de lutte contre la radicalisation se concentre principalement sur le travail en amont – c’est à dire la prévention avant que ne soit atteint un point de non-retour. Une fois qu’une personne passe un certain cap, il est plus difficile de la désengager.

Cette politique de prévention se fait nécessairement au niveau local dans un subtil maillage de terrain. C’est l’identification et la prise en charge des personnes qui se trouvent dans une situation de vie et/ou dans un état psychologique instable au sens large qui priment avant une approche en terme d’intégration sociale d’une communauté en particulier. Un suivi psychologique est en effet plus facile lorsqu’une personne est prise en charge rapidement.

La prévention passe aussi par une politique globale : au niveau de la GRC, le Sergent Bellal explique que les meilleures pratiques sont échangées au niveau national et international afin d’effectuer un travail en amont le plus efficace possible. Une grille d’évaluation a été mise en place dans tout le pays afin d’identifier les individus à haut risque et pouvoir les prendre en charge le plus rapidement possible. Des mesures plus coercitives peuvent être prises, notamment pour minimiser les risques de contagion sur l’entourage : les passeports des proches d’une personne radicalisée peuvent ainsi être confisqués.

 

Pas d’obsession communautariste

Si « les communautés musulmanes ne se sentent pas défiées car le système canadien est multi-communautaire », comme l’estime Sami Aoun, politologue canadien, le système canadien fait face à une difficulté de taille devant la radicalisation djihadiste : les imams canadiens ont du mal à jouer un rôle pédagogique dans les mosquées. En effet, « bon nombre d’imams ne connaissent pas le français. C’est un handicap au Canada, les Imams ne maitrisent ni le français ni l’anglais ; de surcroît, ils sont défiés dans leur respectabilité par les jeunes qui, eux, ne parlent souvent pas l’arabe », confie M. Aoun.

Ceci dit, les Canadiens refusent le piège de la stigmatisation religieuse ou communautariste. Notamment parce que, selon Sami Aoun, « on voit dans les radicaux différents profils », susceptibles de tomber dans diverses formes d’extrémismes. « Il y a un tempérament pour un certain engagement radical qui précède où [la personne] va se radicaliser. Il pourrait choisir la lecture salafiste ou un autre comportement mafieux. Dans les têtes de ces jeunes, ce n’est pas fortement articulé. » Autrement dit, une personne qui décide de rejoindre Daesh n’était pas prédéterminée pour le « djihadisme » comme forme de radicalisation.

 

La police de proximité au cœur de la prévention

La France en nourrirait-elle une nostalgie ? Le Canada mise beaucoup sur le système de police de proximité, établi depuis environ vingt ans. Ce système vise à créer des relations de confiance entre les forces de l’ordre et la collectivité (organismes communautaires, institutions scolaires etc.). Selon Knanh Du Dinh, c’est aussi ce « lien de confiance » qui agit donc « en amont et en prévention des différentes problématiques avant que cela ne devienne critique ». Des comités de vigie avec les différentes communautés, dont la communauté arabe, sont mis en place. Le but est de les rencontrer quatre fois par an afin de les faire participer aux plans d’action et ainsi de mobiliser ces communautés. Un réel rapport est donc préservé avec tous les citoyens de Montréal. Hakim Bellal abonde dans le même sens : « les policiers sont plus proches des organisations non-gouvernementales et des leaders des communautés religieuses et culturelles. »

La confiance, c’est aussi la garantie que les informations collectées ne se retourneront pas contre les interlocuteurs de la police : le numéro vert associé au futur Centre de Montréal pour les proches des personnes en voie de radicalisation garantira une totale confidentialité des appels et ne pourra donner lieu à aucun transfert d’informations aux services de renseignements. Sinon, certains parents s’empêcheraient d’appeler les centres de prévention de peur que leurs enfants soient judiciarisés.

 

Que faire face à une personne qui bascule ?

Si les Canadiens sont certainement en avance sur les Français quant à la prévention en amont, les Français sont peut-être plus structurés en matière de prise en charge des personnes qui ont basculé dans la radicalisation extrême. Ainsi, Pierre N’Gahane, secrétaire général du Comité interministériel pour la prévention de la délinquance, service rattaché au ministre de l’Intérieur français, souligne que le « désengagement » seul ne suffit pas toujours face à ce qu’il appelle « des lames de fond culturelles et sociales ». Là où au Canada on laissera la communauté tenter de retenir un jeune de basculer définitivement, en France, le « désengagement » de cette radicalisation sera davantage pris en charge par les services de la République.

 Comment aider la personne à « se reconstruire dans un projet de vie, la remettre en perspective » ? Selon Hakim Bellal, ce rôle incombe à la communauté. La question qui semble cristalliser la différence entre la France et le Canada en matière de lutte contre la radicalisation est de savoir si cela est suffisant. 

Au final, les Français et les Canadiens se rejoignent pour refuser de céder à un discours apocalyptique, justement recherché par ces personnes qui veulent semer la terreur. Si radicalisation il y a, elle doit être circonscrite à sa juste mesure et ne pas bousculer tous les processus de prévention, de vivre-ensemble et de citoyenneté qui sont à l’œuvre dans nos sociétés.

Directeur de la publication

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