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14H09 - vendredi 13 mars 2015

Côte d’Ivoire : à huit mois des élections, divisions à tous les étages

 

 

À huit mois des élections, la Côte d’Ivoire est à la croisée des chemins. Toutes ses formations politiques sont en proie au doute et à la division tandis que l’enjeu principal du scrutin sera de prouver la bonne marche démocratique du pays. Une gageure, au vu de la lente reconstruction morale et politique en marche depuis 4 ans, la guerre… et les dernières élections.

Le Président ivoirien Alassane Ouattara, novembre 2012, Reuters

Le Président ivoirien Alassane Ouattara, novembre 2012, Reuters

Nous sommes le 5 août 2013. Dans le quartier de la Riviera Attoban, à Abidjan, on fait la fête. La procession de véhicules avance avec difficulté parmi la foule en liesse. Cette foule n’a pas eu beaucoup d’occasions d’être joyeuse depuis deux ans et demi. Mais la voilà qui se lève enfin pour accueillir la libération de ses leaders en captivité : l’ex-premier ministre Pascal Affi N’guessan, Michel Gbagbo, le fils de l’ex-président du pays, les anciens ministres Alcide Djédjé, Moïse Lida Kouassi et bien d’autres cadres ayant marqué « les années Gbagbo ».

À cette époque, un vent d’espoir souffle sur la scène politique ivoirienne. Deux ans après la guerre, le pouvoir en place décide de relâcher la pression en mettant en liberté provisoire ces membres de l’opposition arbitrairement emprisonnés depuis la fin des combats en avril 2011. Cette même opposition, incarnée par le Front Populaire Ivoirien (FPI), compte bien sauter sur l’occasion pour se reconstruire et se dresser face au régime qui a causé sa perte. Tous les voyants sont au vert, le débat démocratique s’entrouvre alors qu’Alassane Ouattara franchit la moitié de son mandat.

Dix-huit mois plus tard, rien ne va plus. En dépit des résultats économiques spectaculaires annoncés par le gouvernement, le pays semble encore divisé et en proie à ses vieux démons.

La coalition au pouvoir, fondée à l’entre-deux tours des élections de 2010 dans le but d’éliminer Laurent Gbagbo, se craquèle jour après jour. Le chef de l’État a beau tenir fermement sa formation politique d’inspiration libérale, le Rassemblement des Républicain (RDR), son ambitieux président de l’Assemblée Nationale est en embuscade. En effet, si l’ex-chef rebelle Guillaume Soro a annoncé son ralliement au Président pour 2015, il ne fait aucun doute qu’il cherche à se positionner pour 2020 et qu’il sera en embuscade dans les années à venir pour s’imposer comme le candidat le mieux placé pour la magistrature suprême. Le débat pour « le coup d’après » semble déjà avoir commencé, certains autres membres du RDR s’y voyant bien, à l’instar d’Hamed Bakayoko, le ministre de l’intérieur.

Les alliés du parti présidentiel, de leur côté, s’entredéchirent sur la marche à suivre d’ici la fin de l’année. L’ex-président Henri Konan Bédié, leader de l’historique Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), croyait pourtant pacifier le débat en annonçant en septembre 2014 son ralliement à M. Ouattara. La décision n’a pas plu au reste de l’imposante machine électorale que représente sa formation politique. Quatre dissidents ont annoncé en décembre vouloir concourir pour l’élection, dont Charles Konan Banny, ancien ministre et président de la fantomatique Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation.

L’opposition pourrait profiter avantageusement des fissures de l’alliance RDR-PDCI, mais ne semble pas vouloir saisir sa chance. Son leader tutélaire, l’ex-président Gbagbo, reste incarcéré à La Haye, en attente du procès qui le jugera avec son poulain Charles Blé Goudé l’été prochain. Depuis quatre ans que ses partisans espèrent sa libération, le Front Populaire Ivoirien peine à se remettre à flot. En cause ? L’abrupte division entre deux courants facilement identifiables. D’un côté, le président du parti Pascal Affi N’Guessan propose une réinsertion de plain pied de sa formation dans la vie politique, avec en ligne de mire une éventuelle candidature aux élections. Face à lui, une faction majoritaire, emmenée par des cadres du parti et soutenue par Michel Gbagbo, se focalise avant tout sur la libération de son champion détenu à la Cour Pénale Internationale.

La crise a pris un nouveau tour lorsque ce dernier camp a décidé d’évincer de la présidence du parti M. Affi Nguessan début mars. Ce dernier a estimé illégale la décision et a décidé de se maintenir en place.

Ces tensions intenses qui secouent « le parti à la rose » se réclamant de la gauche ivoirienne arrivent à un moment crucial. Les procès des ex-cadres de l’ère Gbagbo annoncent leurs verdicts les uns après les autres, et ils sont sévères. L’ex-première dame Simone Gbagbo et Michel Gbagbo ont été condamnés respectivement à 20 et 5 ans de prison. Des décisions qui devraient accentuer un peu plus le fossé qui sépare les partisans de Laurent Gbagbo et ceux du pouvoir en place, sachant qu’aucun membre du clan Ouattara n’a été inquiété par la justice pour le moment. De quoi accentuer une impression de justice des vainqueurs et acculer le FPI entre un boycott improductif et une humiliante demande de grâce présidentielle. Le seul opposant à prendre au sérieux semble être Mamadou Koulibaly. Cet économiste libéral, ancien président de l’Assemblée Nationale, a quitté le parti de Laurent Gbagbo pour former sa propre formation, Liberté et Démocratie pour la République (LIDER). Peu de chances néanmoins qu’il parvienne à ébranler Alassane Ouattara.

La situation sécuritaire est par ailleurs loin d’être revenue à la normale. L’Ouest du pays reste encore instable, et le Président Ouattara rappelle fréquemment son engagement à pacifier la région. Au-delà du phénomène des coupeurs de route que décrit souvent la parole officielle, des attaques armées visent parfois les forces de sécurité ou les civils sans but de pillage. Surtout, l’armée montre encore trop souvent qu’elle est issue de l’alliage entre une rébellion désorganisée et des forces régulières. La réclamation soudaine et spectaculaire d’arriérés de solde par des militaires à l’automne dernier a brusquement rappelé au chef de l’État la stabilité toute relative de sa position.

Si la victoire des Éléphants ivoiriens à la dernière Coupe d’Afrique des Nations de football n’était pas venue apporter un peu de liesse dans le pays, ce paysage politique pourrait apparaître inquiétant.

 

Liesse à Abidjan, après la victoire de la Côte d'Ivoire en finale de la Coupe d'Afrique des Nations - Février 2015 (SIA KAMBOU / AFP)

Liesse à Abidjan, après la victoire de la Côte d’Ivoire en finale de la Coupe d’Afrique des Nations – Février 2015 (SIA KAMBOU / AFP)

 

Sans qu’il préfigure pour autant un retour de la violence politique au devant de la scène, il n’a rien de rassurant. Si l’on peut voir d’un œil optimiste dans ces divisions autant de débats et donc de formes de démocratisation, l’autre œil y verra, lui, un blocage à l’issue peu glorieuse pour le moment.

L’état moribond dans lequel se trouve l’opposition et les divisions trop nombreuses du PDCI font le lit d’une candidature quasi-unique à la présidentielle du président actuel. Quoi que l’on puisse penser de son mandat, la présence d’une seule personnalité de premier plan à cette échéance n’annonce rien de bon. Si aucune opposition structurée ne se met en place, Alassane Ouattara devra relever le défi délicat d’unifier un pays encore très divisé tout en incarnant un leadership incontestable. Sa légitimité auprès de ses alliés pourrait en pâtir sur le long-terme au cours de son second mandat, et la difficile réforme de l’armée laisse toujours planer l’incertitude quant à la stabilité et la sécurité du pays. Enfin, la nouvelle génération de leaders peine à percer dans une sphère politique encore trop dominée par des sexagénaires et septuagénaires. Un paradoxe, pour un pays dont l’âge médian de la population est de 19 ans.

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