Citizen Kids
09H18 - jeudi 11 décembre 2014

La littérature n’est pas que pour les grands… Saveur de conte et profondeur de récit initiatique

 

La littérature n’est pas que pour les grands… Et l’ouverture au monde encore moins ! Deux fois par mois, une libraire jeunesse « La Boîte à Histoires » vient partager ses coups de cœur dans la rubrique Citizen Kids.
Au menu : albums, romans, poésie, documentaires, livres pop-up et autres ovnis littéraires pour les petits et les grands de 0 à 16 ans. Il est fortement conseillé aux adultes d’y jeter un œil…


L’océan au bout du chemin 

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De Neil Gaiman
Editions Au Diable Vauvert. 18 €

A l’occasion d’un enterrement, un homme revient dans le village de sa jeunesse et retourne presque sans le vouloir sur les traces de son passé.

Lui reviennent en mémoire un événement dramatique qui a marqué son enfance et le cortège d’angoisses et de visions cauchemardesques qui s’en sont suivies.

Au milieu de ces souvenirs émerge le visage de la jeune Lettie sa voisine avec qui il passa tant de bons moments dès l’année de ses 7 ans…

Avec son talent virtuose de conteur et cet art précieux d’entremêler le réel au merveilleux, l’imaginaire au quotidien, Neil Gaiman nous entraîne dans un conte moderne à la fois très intime et tout à fait universel.

Il nous livre ici sa vision personnelle de l’enfance, de ses peurs et de ses tourments qui nous construisent plus tard en tant qu’adultes.

Ce roman a la saveur d’un conte et la profondeur d’un récit initiatique.

Il nous conduit imperceptiblement, nous lecteurs adolescents ou adultes, à remonter le fil notre propre passé.

Les personnages, mystérieux, inquiétants ou attachants à souhait sont merveilleusement bien campés et cette lecture hypnotique nous emporte de la première à la dernière page

Les souvenirs d’enfance sont parfois enfouis et masqués sous ce qui advient par la suite, comme des jouets d’enfance oubliés au fond d’un placard encombré d’adulte, mais on ne les perd jamais pour de bon”.


Adam et Thomas

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D’Aharon Appelfeld, illustré par Philippe Dumas
Traduit de l’hébreu par Valérie Zénatti
Editions Ecole des Loisirs. 15 €

Le jeune Adam a été déposé en plein nuit par sa mère au coeur de la forêt : -”Mon petit Adam, dit la mère, nous sommes arrivés, n’aie crainte. Tu connais parfaitement notre forêt et tout ce qu’elle contient. Je vais faire mon possible pour revenir ce soir (…).

Elle se détacha et se mit en route”.

Mais le soir la maman ne revint pas, ni le jour suivant, ni celui d’après.

Entre temps Adam a fait la connaissance d’un autre petit garçon de son âge, Thomas que sa maman a aussi laissé là, au beau milieu de la forêt.

Par cet acte désespéré les deux mères ont tenté de sauver ces deux petits garçons juifs d’une rafle.

Très différents dans leur tempérament mais unis par une religion qu’ils connaissent finalement assez peu, les deux enfants vont devoir apprendre à survivre seuls, à affronter la faim et le froid et les questions lancinantes qui les taraudent : d’où vient la haine des juifs ? Pourquoi traque-t-on des enfants ? Reverront-ils un jour leurs parents ?

Impossible de ne pas relier ce texte au propre parcours de son auteur qui a dû, à l’âge de neuf ans, survivre de longs mois en forêt après s’être échappé d’un camp de concentration.

Pour autant, loin de se cantonner à l’autobiographie, cet ouvrage à la croisée des genres mêle le conte au récit d’aventure, le roman initiatique à la robinsonnade.

Pleine de finesse et de douceur l’écriture d’Appelfeld est accompagnée des lumineuses aquarelles de Philippe Dumas.

Bien qu’ancré dans une réalité historique douloureuse, ce roman n’en reste pas moins universel par sa poésie et les questionnements qu’il suscite et surtout d’un optimisme bouleversant

Cette histoire d’amitié hors du commun et d’espoir fou est un vrai petit bijou dont la lecture nous grandit. A lire à tout prix !


Le miroir brisé 

Miroir

De Jonathan Coe, illustré par Chiara Coccorese
Editions Gallimard Jeunesse. 12,50 €

Claire a huit ans et traîne son ennui et sa solitude entre des parents tellement accaparés par leur quotidien qu’ils semblent presque l’en oublier. Ses pas l’amènent parfois vers une sorte de décharge, pas très loin de la maison, où bizarrement la petite fille se sent bien, aimant glaner ça et là des petits trucs utiles à ramener dans sa chambre.

Ce jour là son regard va être aussitôt attiré par un éclat brillant. En s’approchant, Claire découvre un fragment de miroir découpé en forme d’étoile irrégulière. En plongeant ses yeux dedans, la petite fille aperçoit dans le reflet un ciel bleu azur lumineux, traversé par un aigle majestueux. Des gouttes de pluie pourtant commencent à tomber et en levant les yeux, Claire ne voit rien d’autre que des nuages gris…

Durant des années, ce morceau de miroir va accompagner Claire, lui permettant de magnifier son quotidien, lui donnant à voir une réalité plus douce que la vraie vie. Souvent déçue par les adultes, la lâcheté et l’injustice ambiante la jeune-fille va grandir pourtant, acceptant peu à peu de s’ouvrir aux autres et délaissant petit à petit son objet fétiche.

Un récit intrigant et profond qui aborde mine de rien des thèmes assez forts : le renoncement, le temps qui passe et le fin des illusions, l’enfance qui s’échappe et le merveilleux qui s’estompe.

Si le ton général est assez neutre, plutôt factuel, le roman est égayé par des illustrations oniriques de Chiara Coccorese.

Son travail de photos et d’illustrations saturées de couleurs composent des scènes savoureuses, à l’image de ce que Claire aperçoit dans son miroir, un savant mélange de kitch assumé et de surréalisme un brin cocasse.

Une lecture étonnante au dénouement inattendu qui nous réconcilierait presque avec l’humanité !