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13H40 - lundi 27 octobre 2014

Prix Sakharov attribué à « l’homme qui répare les femmes » : pour ne jamais oublier que le viol est une arme de guerre

 

Rwanda, République Démocratique du Congo, Sierra Leone, Bosnie mais aussi plus proche de nous dans le temps, Centrafrique, Syrie, Irak… Au-delà des conflits meurtriers qui ont déchiré ces pays, qu’ont-ils en commun ? Une arme de guerre devenue massive et dont nous parlons pourtant si peu : le viol et les agressions sexuelles. Le prix Sakharov 2014, attribué la semaine dernière à Denis Mukwege, gynécologue de 59 ans de la République Démocratique du Congo, est là pour nous rappeler une fois de plus que le combat contre cette façon de faire la guerre est encore loin d’être gagné.

 

Femmes assises à l’extérieur d’un dortoir dans un centre pour victimes de violences sexuelles en RDC. © IRIN/Aubrey Graham

Femmes assises à l’extérieur d’un dortoir dans un centre pour victimes de violences sexuelles en RDC. © IRIN/Aubrey Graham


Le viol était devenu une arme de guerre

En juin de cette année pourtant, à Londres, c’est le visage très médiatisé d’Angelina Jolie qui, avec le chef de la diplomatie britannique, avait ouvert un sommet sur les violences sexuelles pendant les conflits. Après des années d’indifférence et d’impuissance, les choses commenceraient à bouger ? Le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit est décerné chaque année par le Parlement européen. Si son attribution à Denis Mukwege confirme que le viol comme arme de guerre est devenu un sujet plus médiatique, il continue pourtant à faire partie de l’arsenal de guerre.

Denis Mukwege le sait bien. Il a fondé l’hôpital Panzi à Bukavu en 1998, au milieu de la guerre civile, où il soigne les victimes de violence sexuelle atteintes de blessures graves. La guerre est peut-être terminée officiellement en République Démocratique du Congo (RDC) mais le conflit armé continue à l’est du pays, ainsi que les attaques et les viols contre les civiles.

En l’espace d’une quinzaine années Denis Mukwege a déjà accueilli et opéré – chiffre effroyable – plus de 40 000 femmes violées et mutilées de sa région. Il parcourt inlassablement le monde profitant de toutes les tribunes qui lui sont offertes – ONU, Sénat américain, Parlement européen, Maison Blanche, Downing Street… – pour dénoncer ce qu’il qualifie de crime contre l’humanité.

Il se souvient de ce jour de septembre 1999 où il a accueilli une première femme violée par un groupe de soldats et dont l’appareil génital avait été déchiqueté par des balles tirées dans son vagin. A la fin de cette année là, ce sont 45 cas dont il était témoin, mais quatre ans plus tard, cette funeste comptabilité s’élevait à plus de 3 500 cas.

Le viol était devenu une arme de guerre. Denis Mukwege expliquait, « ce qu’on ne savait pas faire avec les armes à feu, les lances et les machettes, je découvrais qu’on le réalisait avec le sexe. » Le viol était collectif, commis devant les maris, les enfants, les voisins, contraints d’y assister.

« Toute guerre vise à réduire la démographie de l’ennemi, à occuper son territoire, à détruire sa structure sociale. Le viol, de ce point de vue, est d’une efficacité redoutable. » En s’acharnant sur l’appareil génital des femmes on s’attaque à « la porte d’entrée de la vie ». La plupart des femmes violées ne pourront plus avoir d’enfant. Contaminées par le sida ou d’autres maladies, les autres deviennent des « réservoirs à virus », des « outils de mort » pour leurs compagnons, voire pour les enfants issus des viols. A leur tour rejetés, ils deviendront peut-être un jour, hors de ces familles anéanties, des enfants-soldats…

La RDC est l’un des pays les plus gravement touchés par ce fléau. Il est confronté à une situation de conflit qui s’éternise dans l’Est du pays depuis deux décennies. Une étude publiée en 2011 y estime que plus de 400.000 femmes âgées de 15 à 49 ans ont été victimes d’un viol sur une période d’une année entre 2006 et 2007.

Quand Human Rights Watch (HRW) publie en 2002 un premier rapport La guerre dans la guerre, Denis Mukwege s’attend à une réaction immédiate et fulgurante du monde. Il n’en sera rien. Le viol s’est au contraire répandu. Utilisé par à peu près tous les groupes armés, les rebelles hutu et les combattants maï-maï, les soldats rwandais et les forces gouvernementales congolaises, et aujourd’hui les insurgés du M23.

Les choses bougent, petit à petit …

Pourtant la mobilisation internationale a permis de faire bouger les choses. L’objectif du rapport de HRW de 2002 était de changer les attitudes et les pratiques et de faire en sorte que les coupables soient traduits en justice.  

Le Tribunal International pour le Yougoslavie (TPIY) est la première instance judiciaire qui a clairement pris en compte les sévices sexuels infligés en temps de guerre, dans le cadre des procès des guerres de Bosnie. 

Le viol est considéré pour la justice internationale comme un crime de guerre et comme un crime contre l’Humanité quand il est pratiqué « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique », selon le statut de Rome qui a défini en 1998 les règles de fonctionnement ayant précédé la création de la Cour Pénal Internationale (CPI). En juin, la CPI a confirmé les accusations portées contre l’ancien chef de guerre Bosco Ntaganda. Les violences sexuelles figurent parmi les 18 charges portées contre lui.

Mais malgré des lois adoptées au niveau national, leur mise en pratique fait souvent défaut en RDC. Sous la pression d’associations humanitaires locales et internationales, une loi sur la répression des violences sexuelles a été adoptée en 2006. Elle n’a pourtant pas empêché la poursuite de ces violences.

Début mai, la justice congolaise a acquitté la quasi-totalité des soldats accusés des viols massifs commis en novembre 2012 à Minova, dans l’Est du pays. La cour militaire n’a prononcé que deux condamnations pour viol et n’a pas suivi les recommandations de l’accusation, qui avait requis des peines de prison à perpétuité pour la majorité des accusés. La Fédération internationale des droits de l’Homme a dénoncé une justice « expéditive et bâclée ». 

… mais le chemin s’annonce encore long

Mais ce n’est pas qu’en RDC que l’arme de guerre sexuelle reste tristement d’actualité. Parmi les nombreuses histoires terrifiantes qui nous parviennent sur l’occupation de l’Irak par l’organisation qui se nomme Etat islamique (EI), les violences sexuelles semblent devenir systématiques. En août, les Nations unies ont notamment estimé que l’organisation terroriste avait réduit en esclavage sexuel environ 1 500 femmes et adolescents, filles comme garçons.

C’est peut être en Syrie pourtant que le viol est le crime le plus tu aujourd’hui. Le crime serait massif et organisé par le régime. Un crime fondé sur l’un des tabous les mieux ancrés dans la société traditionnelle syrienne et sur le silence des victimes, convaincues de risquer le rejet par leur propre famille, voire une condamnation à mort.

Plusieurs organisations internationales ont fait état des viols commis par le régime – Amnesty International, l’International Rescue Committee, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Human Rights Watch… Mais toutes insistent sur l’extrême difficulté à obtenir des témoignages directs, le silence obstiné des victimes, la peur des crimes d’honneur perpétrés contre les femmes violées et l’anxiété née de la perception généralisée qu’une femme arrêtée par le régime a forcément été violée.

Ainsi, en dépit de la couverture médiatique que lui confère l’attribution du prix Sakharov, Denis Mukwege, lHomme qui répare les femmes, selon l’expression de Colette Braeckman, est encore loin d’être au bout de ses peines.

Stéphane Mader
Rédacteur en chef - Chief Editor

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