International
09H30 - vendredi 20 juin 2014

Bachelet au Chili : 100 jours de réformes à un rythme effréné

 

Un train de réformes mené à un rythme endiablé ! Michelle Bachelet l’avait annoncé dès sa campagne pour les élections présidentielles en 2013 pendant laquelle elle a martelé les 56 mesures qu’elle prendrait pendant les 100 premiers jours de son mandat. Le mercredi 18 juin marquait la fin de cette période pendant laquelle elle a réalisé une grande partie de ses promesses (92% très précisément). Cet anniversaire suscite pourtant des débats sur le rythme, l’ampleur et l’efficacité des réformes initiées dans un pays qui porte encore les stigmates de la dictature du général Augusto Pinochet.

michele-bachelet

L’empressement des 100 jours

Profitant aussi bien d’une grande popularité que de la légitimité qu’elle tire de son premier mandat (2006 à 2010) et de l’aura que lui a conférée son passage à l’ONU Femmes comme directrice exécutive, Michelle Bachelet a remporté haut la main les élections présidentielles chiliennes à la fin de 2013 contre une droite totalement désavouée et en déroute : elle est élue pour la deuxième fois avec une large majorité de 62% des voix. Si elle veut rapidement profiter de ce capital politique pour engager des réformes de fond, elle sait aussi que le « temps politique utile » lui est compté. Seules les deux premières années lui laissent en effet une réelle marge de manœuvre puisque le cycle électoral reprend la troisième année avec les municipales. Les présidentielles détermineront l’agenda politique la quatrième année.

Elle se sent d’autant plus légitime qu’elle a réussi à recomposer une Nouvelle Majorité à partir de l’ancienne coalition de centre-gauche (la Concertation démocratique) qui avait gouverné pendant vingt ans (1990-2010). Cette coalition, en s’élargissant au Parti communiste qui n’a participé à aucun gouvernement depuis la présidence du socialiste Salvador Allende (1970-1973), lui permet de compter sur l’appui de six députés communistes et lui donne une large majorité.

Pour répondre aussi bien aux critiques portant sur son premier mandat qu’aux attentes des Chiliens, la première et seule présidente – femme – de gauche depuis la transition démocratique de la fin des années 90, veut mener à bien des réformes de fond dont les plus emblématiques sont la réforme de l’éducation, la réforme fiscale et la réforme du mode de scrutin électoral binomiale. Les manifestations des lycéens avaient ébranlé son gouvernement précédent et le mécontentement s’est depuis amplifié, avec de nombreux mouvements sociaux.

Malgré la réduction de la pauvreté et avec un système économique donné comme modèle sur le continent, beaucoup de Chiliens dénoncent la persistance de grandes inégalités. En promettant de faire du Chili « un pays plus juste, plus égalitaire et sans discrimination », la nouvelle locataire de La Moneda (siège de la présidence) voulut montrer qu’elle avait compris que ces concitoyens réclamaient plus d’équité.

En outre, la nouvelle génération, qui n’a pas connu les années de plomb, s’impatiente. Le fantôme de Pinochet et la peur qui planaient sur Santiago ont disparu. La présidente est consciente qu’elle doit vite répondre aux immenses attentes des Chiliens et éloigner tout risque d’explosion sociale, d’autant que, pendant sa campagne, elle n’a rien fait pour tempérer ces aspirations.

Les anciens dirigeants de la révolte étudiante, désormais députés, et dont les figures emblématiques sont Camila Vallejo, Giorgio Jackson et Gabriel Boric ont averti qu’ils « ne donneraient pas un chèque en blanc à Michelle Bachelet et sont prêts à descendre de nouveau dans la rue ». Le 8 mai dernier, à Santiago, comme pour mettre à exécution cette menace et pour presser Michelle Bachelet de prendre des mesures promises en matière d’éducation, des dizaines de milliers d’étudiants chiliens, 40 000 selon la police, avaient manifesté pour rappeler à Mme Bachelet qu’ils n’avaient pas oublié les promesses électorales et entendaient le dire haut et fort.

Des réformes qui doivent être législativement viables

Pourtant, en dépit d’un contexte de crise créé, dès le début du son mandat, par deux catastrophes naturelles successives, un violent séisme (8,2 degrés) et un gigantesque incendie de Valparaiso (à 120 km de Santiago), la nouvelle présidente chilienne a, semble-t-il, largement relevé, d’un point formel, le défi de tenir une grande partie de ses promesses.

Elle a commencé par une réforme fiscale destinée à augmenter les ressources de l’Etat de l’équivalent de 3% du PIB, soit plus de huit milliards de dollars destinés principalement à l’éducation mais aussi à des projets sociaux. A elle seule, cette réforme est représentative de la volonté de changer un contrat social implicite hérité du temps de Pinochet : un Etat minimal loin de l’Etat providence que les pays européens connaissent pour la plupart.

La manne fiscale doit ainsi servir à refonder un modèle éducatif chilien, vieil héritage de la dictature lui aussi : la Loi sur l’enseignement avait été introduite le 10 mars 1990, un jour avant la fin de la dictature. Dans ce modèle, l’Etat se contente de subventionner les établissements en fonction du nombre d’étudiants et du nombre d’heures de présence. Une formule censée stimuler la concurrence entre établissements, et donc la qualité de l’enseignement. La réalité est tout autre : les municipalités ne disposent pas de ressources suffisantes pour gérer l’enseignement public, et les inégalités sont criantes.

Ainsi la plus importante promesse électorale, certainement la plus symbolique, la réforme de l’éducation a été soumise au Congrès en mai. Elle porte notamment sur la gratuité de l’éducation, l’interdiction de faire des bénéfices et la fin de la sélection dans les établissements publics ou financés en partie par l’Etat. Pourtant, et alors que la locataire de La Moneda considère cette réforme comme « la plus significative des cinquante dernières années », le mouvement des étudiants a catégoriquement rejeté la loi telle qu’elle a été proposée, reprochant au texte de seulement transformer ce qu’ils appellent « le marché de l’éducation », sans inscrire l’éducation comme un droit garanti par la loi. La discussion parlementaire suit son cours.

Mme Bachelet a enfin envoyé au Parlement un projet de refonte du système électoral binominal, principal héritage de la dictature, provoquant des vives réactions dans les partis qui en ont profité durant des décennies, particulièrement la droite.

Plus généralement, si les réformes sont bien engagées, certains qualifient le rythme de « frénétique », ne prenant pas en compte la perspective du temps long que ces réformes impliquent. Plus préoccupant, cet empressement nuirait à la qualité des réformes qui sont en discussion à l’intérieur même de la majorité. Mais la principale critique faite aux « 56 mesures en 100 jours » consiste à rappeler que les réformes mises en chantier sont encore en discussion et qu’il reste à les voter. Le principal défi du gouvernement Bachelet est ainsi de matérialiser ses réformes en projets politiques qui soient viables d’un point de vue législatif.

Bref, les cent jours sont passés mais le mouvement est lancé.

Stéphane Mader
Rédacteur en chef - Chief Editor

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