Culture
14H41 - mercredi 26 mars 2014

Lire Beckett sur un tapis persan

 

Nous venons d’assister aux dernières représentations de la célèbre pièce de Samuel Beckett « En attendant Godot » mise en scène par Homayoon Ghanizadeh et la troupe MUNGU dans la salle principale du Théâtre de la ville à Téhéran.
Cet hiver encore le public qui nous avait déjà habitué à son accueil chaleureux et enthousiaste lors d’hivers plus rudes a été fidèle au poste et a afflué vers les salles du Théâtre de la ville, où il ne reste plus un siège, pour voir Beckett.

 

L'acteur Peyman Moadi (Une séparation, A propos d'Elly) dans le rôle de Vladimir

L’acteur Peyman Moadi (Une séparation, A propos d’Elly) dans le rôle de Vladimir

Bien qu’il soit un jeune metteur en scène (32 ans), le nom de Ghanizadeh est bien connu du milieu du théâtre iranien. Il a fait une entrée remarquable dans ce milieu il y a de cela une dizaine d’années déjà avec Daedalus et Icarus d’Ovide et s’est imposé depuis comme une voix importante du théâtre d’avant-garde iranien sans laquelle on ne pourrait désormais plus compter.

Il a depuis porté sur scène des pièces comme Caligula, Agamemnon et Antigone jouées à la fois par des acteurs iraniens et estoniens sur les scènes du théâtre de la ville.

Ses réalisations ont également  été jouées en Angleterre, en Pologne et en Estonie suscitant à la fois admiration et critiques passionnées.

Cela fait de nombreuses années que comme partout ailleurs Beckett s’impose non seulement comme un auteur incontournable mais comme celui avec lequel on se distingue, on se prouve et enfin on se trouve.

Trois décennies s’écoulent depuis la parution des traductions sérieuses et continues des œuvres de Beckett et pendant ce temps nombreux sont les traducteurs, écrivains, réalisateurs et chercheurs qui se sont révélés à travers l’univers de Beckett et sa vision du monde.

Le succès des ventes des oeuvres de Beckett témoigne de sa popularité et de sa notoriété auprès des lecteurs iraniens. Et sa pièce  » En attendant Godot  » connait un succès à  la mesure de la notoriété de son auteur.
En effet au courant seulement de la dernière décennie, sans tenir compte des représentations amateurs dans les écoles de théâtre ni de celle des étudiants en milieu universitaire, il y a eu trois représentations générales par des troupes professionnelles de théâtre rien qu’à Téhéran. Et malgré la crise  que connait le monde de l’édition dans le pays depuis quelques années la dernière traduction de Godot en est à sa 11ème réédition.

Dans le milieu de la culture et des arts le nom de Godot ainsi que la fameuse image en noir et blanc de Samuel  Beckett sont gravés dans les esprits.

Mais ce qui distingue le Godot de la mise en scène de Ghanizadeh dans la pluralité d’interprétations possibles est son effort – réussi ou non – à faire se rencontrer l’univers hostile de Beckett marqué de répétitions et d’oppositions et sa propre expérience de la vie en tant que metteur en scène iranien, comme on pouvait déjà  le percevoir dans ses autres réalisations.

La scène est entièrement  blanche, aucun angle n’y est visible, ni ciel ni horizon, une blancheur infinie représentant un monde infini, sans dimensions dont les habitants aussi tous de blanc vêtus sont les acteurs.
Mais dans ce monde infini, ce « nulle part », les jeux du langage et le langage des signes s’accordent avec harmonie et rétablissent de façon subtile le rapport entre le temps, l’espace et le réalisateur.

Les vagabonds de Beckett sont représentés par deux clowns, entièrement blancs, grossièrement maquillés qui ont perdu leur savoir faire,  » ils ont oublié comment faire le clown » dit Ghanizadeh.

Grâce à un savant mélange entre artifices du langage, intonations et expressions en farsi * contemporain utilisées par Pozzo, il transmet le message universel de Beckett de manière subtile et intelligible par le spectateur iranien dans un contexte actuel.

Ghanizadeh de façon délibérée ou simplement désabusé par sa propre expérience de la vie introduit des codes et signes nouveaux dans l’univers sémiologique de Beckett et le plus surprenant est la fusion aventureuse du public avec la pièce. Après six semaines de représentations quotidiennes elle a été une des pièces les plus vues du festival de théâtre et malgré l’approche des festivités du nouvel an iranien la salle principale du Théâtre de la ville n’a pas désempli. En dépit de l’inconfort des sièges, la longueur de la pièce (marquée par de longues pantomimes) et l’absence d’entracte qu’imposait le respect d’un calendrier très chargé, les spectateurs ont quitté la salle « enjoués » en évoquant et comparant la pièce avec leurs expériences précédentes.

On retiendra de la rencontre entre un jeune prodige de la mise en scène encore au début de sa carrière et l’immense univers d’un monstre sacré l’image indélébile du visage de Samuel Beckett.

Ni Beckett ni Godot ni Ghanizadeh ne furent une découverte pour les amateurs de théâtre en Iran mais l’alchimie créée par cette association est aussi peut-être, comble du paradoxe, le fait du lieu, de cette grande salle principale du Théâtre de la ville…

Une expérience qui aura provoqué plus d’admiration que d’opposition semble-t-il.

 

Les mots de la semaine : paradis et kiosque

La grande majorité du territoire iranien étant composé soit de hauts plateaux soit de grandes étendues désertiques, par conséquent arides, les Rois de la Perse ont créé d’immenses réserves de verdures fraiches…
Reza Eskandari

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