Tunisie
16H08 - mardi 18 juin 2013

La société civile tunisienne en pleine expansion (article d’opinion)

 

Les associations en Tunisie ont connu un avant- et un après-révolution. S’étant multipliées depuis 2011, elles exercent depuis un poids plus important sur la société dans son ensemble, et ont parfois tendance à en abuser.

Vive-la-Tunisie-libre

Avant la révolution du 14 janvier 2011, les associations tunisiennes ne relevaient pas des autorités politiques de l’ancien régime. Elles étaient cependant limitées dans leurs ressources financières – puisque ne bénéficiant d’aucune subvention étatique ou locale, ni du choix des bailleurs de fonds étrangers. Elles étaient également limitées dans leur choix des thèmes d’actions entrepris ; par exemple, elles devaient fortement éviter de mettre en place des actions en rapport avec le pouvoir politique en place, et encore moins dans le domaine des droits de l’homme. Enfin, le choix des lieux et zones d’intervention de ces associations était soumis à l’accord des autorités ; ainsi les zones de protestations populaires ou zones de pauvreté leur étaient interdites.

La démultiplication des associations, surtout religieuses

Depuis la révolution et selon le Centre d’information, de formation, d’études et de documentation sur les associations en Tunisie (IFEDA), le nombre d’associations a augmenté de manière vertigineuse : il est passé de 9969 associations en 2010 à 14729 début 2013.

Les activités des associations tunisiennes sont devenues plus variées et leurs domaines et champs d’actions se sont élargis, tout comme leurs moyens de financement. D’après une étude réalisée par l’Observatoire Ilef pour la protection du consommateur et des contribuables en Tunisie, « près de la moitié des associations en Tunisie ne se conforment pas aux objectifs proclamés dans leurs statuts et exercent des activités déguisées et complémentaires, voire contraires à leur vocation initiale ». Cette étude couvre la période du 14 janvier 2011 à la fin février 2013 ; elle démontre aussi que 19 % des associations caritatives et à caractère religieux exercent des activités différentes de leurs objectifs. Les associations ayant une connotation religieuse travaillent maintenant dans les domaines caritatif et humanitaire en utilisant le « sentiment religieux » pour demander de l’argent à la population aisée. Elles distribuent ensuite cet argent à la population pauvre en en profitant pour faire passer des messages politiques ou religieux.

L’exemple de l’expérience des inondations de 2012 dans les villages du nord ouest de la Tunisie démontre bien cette démarche, puisque le grand élan de solidarité que cela avait généré s’est concrétisé par des aides, notamment financières. Ces aides, collectées par différentes associations (principalement modernistes ou laïques) ont été distribuées à la population par le parti politique islamiste Ennahda, qui était le mieux organisé localement pour cela. A l’inverse, les associations venues de Tunis ne connaissaient pas les lieux et la population nécessiteuse ; de ce fait, elles étaient incapables de connaitre la destination et les bénéficiaires de ces collectes.

Le parti au pouvoir instaure un « Etat minimaliste » par le biais des associations

Dans la classe politique au pouvoir se propage actuellement un certain état d’esprit qui consiste à instaurer un « Etat minimaliste ». Cet Etat minimaliste consisterait en la prise en charge de l’éducation civique et religieuse des enfants et adultes par des associations à caractère religieux. Cet état d’esprit se manifeste déjà dans l’engagement de ces associations à caractère religieux dans le domaine caritatif, car cela réduit le rôle de l’Etat dans les questions de développement.

Le parti au pouvoir Ennahda a créé de nombreuses associations, qui lui permettent en outre de se constituer une base électorale pour l’avenir et de gagner la « bataille » contre les laïcs et les modernistes tunisiens. Cette bataille n’étant pas seulement électorale mais aussi sociale, les associations religieuses cherchent à transformer la société moderniste et laïque en une société « religieuse » gouvernée, logiquement, par un gouvernement islamiste.

Le rôle crucial pour l’avenir des associations modernistes

Les associations tunisiennes, même celles à caractère religieux, vont devoir choisir entre appliquer l’agenda politique des partis au pouvoir ou se concentrer sur leur travail associatif en étant autonomes par rapport aux différents partis politiques.

La problématique actuelle à ce propos est le fait d’assurer l’autonomie de la société civile tunisienne par rapport au pouvoir politique, dans une période de transition qui se déroule avec beaucoup de difficultés.

Sihem Bouazza, ancienne employée à la Radio nationale tunisienne et active dans la société civile tunisienne depuis plus de 20 ans