Afriques (2)
04H47 - mercredi 10 octobre 2012

Assane Dioma NDiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme – « Au Sénégal, le président Macky Sall doit réparer les injustices crées par le régime de Wade »

 

Avocat à la cour et président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, Me Assane Dioma Ndiaye, revient, dans cet entretien accordé à Opinion internationale, sur le lourd héritage d’Abdoulaye Wade en matière de droits humains et les défis qui attendent Macky Sall dans le ce domaine..

 

Concernant la situation des droits de l’homme au Sénégal, quel bilan en tirez-vous sous le régime du président Abdoulaye Wade  ?

En dehors de l’abolition de la peine de mort intervenue en 2004, rien d’appréciable. Les droits de l’Homme ont été le parent pauvre de la gouvernance d’Abdoulaye Wade. De manière générale, on n’a pas senti une réelle politique en matière de promotion des droits humains sous Wade. Il a eu un mépris souverain à l’égard des organisations de défense des droits de l’Homme. En douze ans, M. Wade n’a jamais reçu les organisations de défense de droits humains. En douze ans, pas même une prison n’a été construite pour améliorer les conditions d’incarcération.

Alioune Tine de la Raddho, principale coalition d’organisations de promotion des droits humains, a été publiquement victime d’agression le 23 juin 2011 et détenu arbitrairement à la police sans qu’aucune suite judiciaire ne soit donnée. Pourtant, il a eu une plainte. Mais le parquet n’y a donné aucune suite. Par ailleurs il y a toujours eu l’intervention intempestive du président de la république dans des dossiers auprès des magistrats. Une entorse grave à l’indépendance de la justice. La dernière en date, avant la défaite du président sortant, en mars 2012 était de faire sortir toutes les femmes de prison pendant une journée lors de sa journée décrétée «femme sans prison ». Et ce fut contre la décision des procureur et juge d’instruction qui ont refusé de donner l’autorisation à l’administration pénitentiaire. Il faut ajouter à cela, toutes les auditions intempestives à la Division des investigations criminelles (Dic) de journalistes et autres ainsi que l’interdiction systématique des manifestations pacifiques.

 

En termes de droits socio-économiques et culturels, que faut-il retenir ?

Il est clair que M. Wade a développé la construction d’établissements scolaires avec les lycées  de proximité et les centres universitaires régionaux (Cur). Mais cela n’a pas empêché les perturbations récurrentes d’une année sur l’autre de l’année scolaire. En matière de vulnérabilité de la population, on n’a pas senti l’action de l’Etat surtout par rapport au phénomène de mendicité des talibés (élèves de l’enseignement coranique traditionnel). Ce phénomène s’est accru avec la maltraitance inouïe infligée au quotidien à de jeunes talibés. En matière d’habitat, le logement devient coûteux et inaccessible. Il n’y a plus de politique d’habitats sociaux. En matière de politique sanitaire, on ne note que le « Plan Sésame » qui prend en charge les soins des personnes du troisième âge et la construction de case de santé.

 

Et qu’attendez-vous du président Macky Sall qui avait promis de mettre fin à l’impunité?

La première profession de foi du président Macky Sall était d’opérer une rupture. Et cela devait se traduire en matière de droits humains par la réparation des injustices et et la fin de l’impunité qui était érigée en méthode de gouvernement. Depuis son arrivée au pouvoir, il a posé deux actes très forts en faisant arrêter les commandants de gendarmerie de Podor [NLDR : département de la région de Saint-Louis au nord du pays où les forces de l’ordre auraient tué deux personnes lors des manifestations préélectorales] et Sangalkam [NLDR : un chef lieu de conseil rural dans le département de Rufisque dans région de Dakar où un homme a été tué par les forces de l’ordre lors de manifestations contre la décision de découpage administratif].

Mais cet élan a été vite estompé. Car pour le reste des cas de violations des droits humains commis lors des manifestations préélectorales, il n’y a pas encore d’évolution judiciaire concrète. Ceci est illustré par le cas de l’étudiant Mamadou Diop tué à la place de l’Obélisque le 31 janvier 2012 pendant la manifestation du collectif M23 contre la candidature de M. Wade. D’autres cas de tortures ou de meurtres ont été déposés sur le bureau du procureur. Cette situation de lenteur inquiète les victimes et les Ong de défense des droits humains.

Nous attendons cette rupture promise pour que tous les Sénégalais se sentent égaux devant la loi sans instrumentalisation de la justice. Il faut que le procureur puisse s’auto-saisir chaque fois qu’il y a un cas de crime ou de délit.

 

Qu’est ce qui peut expliquer que cette dynamique de rupture de Macky Sall soit cassée en si peu de temps?

En Afrique les pouvoirs ne sont pas prompts à enclencher des poursuites à l’encontre des forces de l’ordre. Souvent, il prennent soin des forces de sécurité qui constituent leur secours principal : il y a danger à s’aliéner ce secours pour la pérennisation de leur pouvoir, surtout en période de trouble. Mais ils se trompent car la pérennité d’un État tient à sa capacité à faire en sorte que la justice soit rendue en toutes circonstances et dehors de toute contingence. Leur stabilité tient de leur légitimité populaire, de l’adhésion du peuple.  Si vous êtes en adéquation avec votre peuple vous n’avez rien à craindre.

 

L’ancien commissaire du commissariat central de Dakar Harouna Sy a porté plainte contre vous, contre le directeur de la section sénégalaise d’Amnesty internationale, Seydi Gassama, et contre le secrétaire exécutif de la Raddho Alioune Tine. Que vous reproche-t-il ?

Il a parlé de dénonciation calomnieuse en chargeant d’avoir fait des déclarations qui portent atteinte à son honneur et sa considération alors que ces déclarations sont non fondées. Il réclame deux milliards de francs Cfa soit 3 millions 48 mille euros comme réparation de soi-disant tort. Mais je pense qu’il s’est trompé parce que nous n’avons fait que ceci : quand nous avions appris qu’il était pressenti pour un poste aux Nations Unies, nous avons dit qu’au nom du combat contre l’impunité que nous menons, nous ne pouvions pas accepter qu’une personne qui est citée dans des affaires pendantes devant la justice soit soustraite à son autorité. Parce que si M. Sy est employé par l’Onu, il sera non seulement loin de la justice sénégalaise mais il bénéficiera surtout d’un certain nombre d’immunités. Or, une plainte qui le vise nommément est pendante devant le cabinet du doyen des juges d’instruction de Dakar. Il y a également d’autres procédures dans lesquelles est visée la police dans des actes de tortures sur des personnes qui ont perdu des yeux, des bras lors de la répression policières des manifestations préélectorales de février 2012. Ce sont des plaintes contre X mais nous savons beaucoup de ces actes étaient commis sous le commandement du commissaire central Harouna Sy.

Donc c’est sur la base de ces faits que nous avons saisi les Nations Unies pour attirer leur attention. Dans tous les cas, la réglementation des Nations Unies  est claire : si l’on vous reproche un certains nombre de faits en matière de violation des droits humains, vous n’êtes pas éligible pour ces postes. Ce sont les victimes elles-mêmes qui ont porté plainte contre Harouna Sy. A partir de ce moment, nous ne faisons que mener notre combat  comme nous l’avons fait contre Farba Senghor, alors ministre dans le gouvernement d’Abdoulaye Wade et dans d’autres affaires, afin que le droit des victimes soit entendu par un tribunal.

Nous ne comprenons donc pas qu’il ait formulé cette citation à l’encontre des organisations de défense des droits humains. Depuis l’arrivée au pouvoir de Macky Sall c’est la première fois qu’il y a une forme de persécution contre les défenseurs de droits humains du fait de leur action quotidienne.

 

La plainte de Harouna Sy a-t-elle une chance d’aboutir ?

Je ne pense pas. Car accuser quelqu’un de dénonciation calomnieuse suppose que l’accusé soit d’abord l’auteur des propos jugés calomnieux. Or, ici ce sont les victimes de la répression qui ont cité le commissaire central et non les Ong. La plainte contre lui existe et est pendante devant la justice. Donc, les défenseurs de droits humains que nous sommes, n’ont fait que faire respecter un principe des Nations unies en raison des plaintes pendantes contre lui. Mieux, tant que Harouna Sy n’a pas été blanchi par la justice, il ne peut parler de dénonciations calomnieuses. Et même s’il est blanchi, ce sera peut-être aux victimes des répressions qu’il peut s’attaquer.

En tous les cas, des avocats se sont constitués volontairement en adressant des correspondances au procureur et au bâtonnier de l’ordre des avocats pour s’indigner contre cette citation de Harouna Sy. En fait, Harouna Sy accepte mal le fait que les Nations Unies aient suspendu sa participation au programme de réforme de la police soudanaise.

 

Propos recueillis par Ibrahim Kandjimor

Correspondant à Dakar

Le fil Burundi du 28 mai au 19 juin 2015

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