Human Rights
08H13 - jeudi 10 mai 2012

Tunisie : le premiers procès pour torture démontre la nécessité d’une réforme du cadre juridique tunisien

 

La justice tunisienne connaît de nombreuses failles, héritées du précédent régime,  qui  devront  être  résorbées  si  la  Tunisie  veut  rendre  justice  aux  victimes  des  crimes du passé. Eric Goldstein, chargé du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord à HRW, précise : « la torture était endémique dans les prisons tunisiennes pendant les 23 ans de présidence de Ben Ali qui ont ruiné l’existence de milliers de personnes. Poursuivre efficacement les personnes coupables de torture exige un cadre judiciaire adéquat ainsi que la volonté politique d’en finir avec l’impunité. »

Si  le  crime  de  torture  est  inscrit  dans  le  droit  tunisien  depuis  1999,  il faut espérer que  l’Assemblée  nationale  constituante, élue le 23 octobre dernier,  « harmonisera, poursuit Mr Goldstein, le droit tunisien avec le Statut de Rome de la Cour pénal internationale en intégrant les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide dans les lois tunisiennes existantes  (…). L’Assemblée devrait aussi inclure dans le droit tunisien les diverses formes de responsabilité criminelle énoncées dans le droit pénal international. »

Certes,  le  gouvernement  provisoire  a  réformé  le  système  judiciaire  militaire,  en  créant  une juridiction  d’appel,  en  incluant  des  représentants  de  la  justice  civile  dans  les  tribunaux militaires, en rendant les décisions prises par le juge d’instruction militaire révisables par les cours  d’appels  de  la  justice  civile  et  en  augmentant  l’indépendance  du  procureur  militaire face  au  ministère  de  la  Défense.  Mais,  les  tribunaux  militaires  n’ont,  au  regard  du  droit international,  légitimité  à  ne  juger  que  des  infractions  militaires.  Et  le  Comité  des  droits  de l’homme  de  l’ONU  somme  les  États  de  la  Convention  contre  la  torture  et  autres  peines  ou traitement  cruels,  inhumains  ou  dégradants,  à  juger  le  personnel  militaire  inculpé  dans  des tribunaux civils.

Human  Rights  Watch  appelle  les  autorités  tunisiennes  à faire  juger  les  crimes  commis  sous  l’ère Ben  Ali  par  des  juridictions  civiles.  Elle  les  encourage  vivement  à  faire  siennes  les  critères internationaux  de  procès  équitable,  notamment  en  donnant  aux  inculpés  la  possibilité  de préparer  leur  procès.  Elle  rappelle  les  principes  de  responsabilité  du  supérieur  hiérarchique, selon  lequel  un  supérieur  est  pénalement  responsable  dès  lors  qu’il  a  eu  ou  qu’il  aurait  dû avoir connaissance du crime, même s’il ne l’a pas ordonné lui-même ; et de non-rétroactivité qui  exprime  la  nécessité  de  rendre  justice  à  partir  du  droit  actuel  et  pas  celui  de  l’époque  à laquelle a été commis le crime. HRW rappelle que les crimes les plus graves, dont les actes de torture, ne connaissent pas de prescription.

Dans  ce  contexte  de  transition,  tout  le  système  judiciaire  tunisien  est  à  réformer.

Reste le cas Ben Ali. Pour le moment, les autorités tunisiennes ne prévoient pas d’exiger l’extradition de l’ancien président, aujourd’hui installé en Arabie saoudite. Certes, le président déchu  a  rapidement  été  condamné  par  contumace  pour  divers  crimes :  détournement de  fonds,  possessions  de  drogues  prohibées.  Il  a  été  inculpé  du  meurtre  de  manifestants pendant  les  jours  précédant  sa  chute  et  a déjà  écopé  d’un  total  de  60  années  de  prison.  Mais, Hamadi Jebali, le chef de gouvernement, répète à l’envi que l’extradition de Ben Ali ne constitue pas une priorité des autorités provisoires. Pourra-t-on rendre justice aux victimes et solder les comptes du passé sans juger le chef du régime déchu ? La réconciliation nationale n’est-elle pas à ce prix ?

Farida Cherfaoui